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pas ceux qui manquaient de pain et qui demandaient de quoi manger… En
revanche, ceux qui avaient de l’argent ont pu s’enrichir encore, à savoir :
les bourgeois. Que pouvait donc bien faire aux pauvres d’être désormais «
libres et égaux en droit » s’ils mouraient de faim encore et toujours ? À quoi
bon l’inscription de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » sur les frontons
des bâtiments publics ? Liberté de manquer de pain ? Égalité avec ceux qui
manquent de pain ? Fraternité mais seulement entre ceux qui manquent de
pain ? La Révolution française fut l’occasion pour le peuple de changer de
maîtres : après la Révolution, le Dieu catholique des monarchistes fit moins
la loi parce que ce fut l’argent des bourgeois qui prit sa place. Lors de la
Révolution française, la faim des ouvriers a nourri la bourgeoisie d’affaires
et les propriétaires.
Faut-il aller voir du côté de 1917 pour trouver un contre-exemple ? Pas du
tout. Au contraire. En Russie, les mouvements de rue ne voulaient pas le
bolchevisme mais la fin de l’état de pénurie dû à la Première Guerre
mondiale. Une fois de plus, le peuple avait faim. Le 20 février 1917, c’est la
rumeur d’un rationnement du pain qui met la foule en mouvement. Un
ventre plein ne fait pas la révolution pour des idées, c’est une pensée
impossible à comprendre pour les intellectuels qui ignorent le réel et
évoluent dans un monde d’idées pures. Or, la faim n’est pas une idée, mais
une réalité sèche et rude. Les Russes qui veulent de quoi faire une soupe
n’aspirent ni à la dictature du prolétariat ni au matérialisme dialectique, ni à
la négation de l’empiriocriticisme ni au dépassement de l’hégélianisme ! Ils
veulent manger à leur faim… Lénine confisque ce mécontentement avec un
coup d’État, c’est octobre 1917. Il instaure la dictature du parti unique,
abolit les libertés, détruit la presse d’opposition, crée des camps pour y
déporter les opposants – Staline n’invente rien : il se contente d’installer la
dictature dans la durée. Quand en 1921 les marins de Cronstadt se révoltent
en rappelant qu’ils ont fait la révolution pour les soviets, autrement dit pour
la démocratie directe, Lénine leur envoie la troupe – celle de l’Armée rouge
créée par Trotski. Avec la Révolution russe, la faim du prolétariat russe
nourrit la nomenklatura soviétique.
1968 pourrait également être convoqué. Mais le mouvement est moins une
révolution qu’une révolte : les étudiants protestent contre la misère sexuelle
(l’une de leurs premières revendications est la mixité des campus…) et
quand les ouvriers les rejoignent, ça n’est pas pour faire la révolution selon