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(1) Michel Onfray - Théorie de la dictature-Robert Laffont (2019)

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Ferme, du Moulin et de Napoléon. Puis il déconstruit l’information selon laquelle Malabar aurait été

envoyé à l’équarrissage : le fourgon de l’équarrisseur avait été acheté d’occasion par le vétérinaire

qui n’avait pas eu le temps d’y faire peindre son nouvel usage et sa nouvelle raison sociale… Les

animaux sont convaincus. Une oraison funèbre est prononcée le dimanche suivant. Ses restes n’ont

pu être rapportés à la Ferme pour y être inhumés. Un banquet d’hommage est décidé, il a lieu avec

les seuls cochons qui descendent une autre caisse de whisky.

Le temps passe. Des animaux sont morts. Boule de Neige est tombé dans l’oubli. D’autres ont

vieilli. Aucun animal n’a profité de la retraite. On ne parle d’ailleurs plus jamais de retraite.

Benjamin est resté le même, il a juste un peu grisonné. Plus que jamais son caractère est revêche et

taciturne. Napoléon et Brille-Babil sont devenus obèses. La Ferme s’est agrandie, elle est prospère,

un autre Moulin a été construit. La Ferme s’est enrichie sans rendre les animaux plus riches, sauf les

chiens et les cochons qui ne produisent rien mais mangent beaucoup. La vie des plus simples n’a pas

changé : rudesse, austérité, frugalité, travail, souffrances. Plus personne ne se souvient d’avant. Sauf

Benjamin qui « affirmait se rappeler sa longue vie dans le menu détail, et ainsi savoir que les choses

n’avaient jamais été, ni ne pourraient jamais être bien meilleures ou bien pires – la faim, les épreuves

et les déboires, telle était, à l’en croire, la loi inaltérable de la vie 101 ». Les animaux attendent toujours

pour demain le bonheur promis hier, voire avant-hier… Ils croient toujours que tous les animaux sont

égaux ! Brille-Babil conduit les moutons à l’écart ; en secret, il leur apprend un nouveau chant.

Une sidération saisit Douce quand elle voit un cochon marcher sur ses pattes arrière ! Il s’agit

de Brille-Babil. Certes, l’équilibre est précaire, mais les Quatrepattes marchent bel et bien comme les

Deuxpattes ! Et ce cochon est suivi par une série de porcs qui marchent debout, le cortège étant

ouvert par Napoléon qui tient un fouet dans la patte ! Acclamation des chiens et du petit coq noir. Les

moutons bêlent les slogans. Silence de mort chez les autres animaux. Les cochons défilent : « C’était

comme le monde à l’envers 103 »…

Douce conduit Benjamin au fond de la grange et lui demande de lire les Sept Commandements. En

fait, tous ont disparu au profit d’un seul qui est nouveau et dit : « Tous les animaux sont égaux mais

certains sont plus égaux que d’autres 104 . » Le lendemain, les cochons dirigent les travaux au fouet…

Les animaux découvrent qu’en plus de vivre dans la maison de Jones, de manger dans ses assiettes,

de dormir dans ses lits, de porter ses vêtements, de boire ses bouteilles, de tuer d’autres animaux, de

commercer avec des humains, d’avoir recours à l’argent, autrement dit de contrevenir à tous les

commandements sans exception, les cochons écoutent la radio, utilisent des téléphones, lisent des

journaux et des hebdomadaires. Napoléon marche sur deux pattes, porte chapeau, culotte de chasse et

guêtres en cuir, et fume la pipe de Jones. Sa truie favorite porte une robe de soie moirée prélevée

dans la penderie des habits du dimanche de Mme Jones.

Des humains viennent visiter la ferme pendant que les animaux travaillent. Le soir, dans la maison

de Jones, cochons et humains festoient, banquettent, boivent de la bière, jouent aux cartes et portent

un toast à la réconciliation entre les cochons marxistes-léninistes et les humains capitalistes. De part

et d’autre, on parle de regrets, de craintes infondées, des rumeurs mauvaises, de la nécessité de la

discipline ; mais on se réjouit également des rations basses, de la durée élevée du temps de travail et

« du refus de dorloter les animaux de la Ferme 197 ». L’usage du mot camarade est aboli ; la propriété

se trouve concentrée dans les mains des cochons ; le défilé devant le crâne de Sage l’Ancien est

supprimé ; on enlève la corne et le sabot sur le drapeau ; la Ferme des Animaux redevient la Ferme

du Manoir.

Les animaux qui regardent ce banquet de l’extérieur n’en croient pas leurs yeux. Les cochons

ressemblent physiquement aux humains et vice versa au point qu’on ne sait plus qui est qui. La soirée

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