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Ferme, du Moulin et de Napoléon. Puis il déconstruit l’information selon laquelle Malabar aurait été
envoyé à l’équarrissage : le fourgon de l’équarrisseur avait été acheté d’occasion par le vétérinaire
qui n’avait pas eu le temps d’y faire peindre son nouvel usage et sa nouvelle raison sociale… Les
animaux sont convaincus. Une oraison funèbre est prononcée le dimanche suivant. Ses restes n’ont
pu être rapportés à la Ferme pour y être inhumés. Un banquet d’hommage est décidé, il a lieu avec
les seuls cochons qui descendent une autre caisse de whisky.
Le temps passe. Des animaux sont morts. Boule de Neige est tombé dans l’oubli. D’autres ont
vieilli. Aucun animal n’a profité de la retraite. On ne parle d’ailleurs plus jamais de retraite.
Benjamin est resté le même, il a juste un peu grisonné. Plus que jamais son caractère est revêche et
taciturne. Napoléon et Brille-Babil sont devenus obèses. La Ferme s’est agrandie, elle est prospère,
un autre Moulin a été construit. La Ferme s’est enrichie sans rendre les animaux plus riches, sauf les
chiens et les cochons qui ne produisent rien mais mangent beaucoup. La vie des plus simples n’a pas
changé : rudesse, austérité, frugalité, travail, souffrances. Plus personne ne se souvient d’avant. Sauf
Benjamin qui « affirmait se rappeler sa longue vie dans le menu détail, et ainsi savoir que les choses
n’avaient jamais été, ni ne pourraient jamais être bien meilleures ou bien pires – la faim, les épreuves
et les déboires, telle était, à l’en croire, la loi inaltérable de la vie 101 ». Les animaux attendent toujours
pour demain le bonheur promis hier, voire avant-hier… Ils croient toujours que tous les animaux sont
égaux ! Brille-Babil conduit les moutons à l’écart ; en secret, il leur apprend un nouveau chant.
Une sidération saisit Douce quand elle voit un cochon marcher sur ses pattes arrière ! Il s’agit
de Brille-Babil. Certes, l’équilibre est précaire, mais les Quatrepattes marchent bel et bien comme les
Deuxpattes ! Et ce cochon est suivi par une série de porcs qui marchent debout, le cortège étant
ouvert par Napoléon qui tient un fouet dans la patte ! Acclamation des chiens et du petit coq noir. Les
moutons bêlent les slogans. Silence de mort chez les autres animaux. Les cochons défilent : « C’était
comme le monde à l’envers 103 »…
Douce conduit Benjamin au fond de la grange et lui demande de lire les Sept Commandements. En
fait, tous ont disparu au profit d’un seul qui est nouveau et dit : « Tous les animaux sont égaux mais
certains sont plus égaux que d’autres 104 . » Le lendemain, les cochons dirigent les travaux au fouet…
Les animaux découvrent qu’en plus de vivre dans la maison de Jones, de manger dans ses assiettes,
de dormir dans ses lits, de porter ses vêtements, de boire ses bouteilles, de tuer d’autres animaux, de
commercer avec des humains, d’avoir recours à l’argent, autrement dit de contrevenir à tous les
commandements sans exception, les cochons écoutent la radio, utilisent des téléphones, lisent des
journaux et des hebdomadaires. Napoléon marche sur deux pattes, porte chapeau, culotte de chasse et
guêtres en cuir, et fume la pipe de Jones. Sa truie favorite porte une robe de soie moirée prélevée
dans la penderie des habits du dimanche de Mme Jones.
Des humains viennent visiter la ferme pendant que les animaux travaillent. Le soir, dans la maison
de Jones, cochons et humains festoient, banquettent, boivent de la bière, jouent aux cartes et portent
un toast à la réconciliation entre les cochons marxistes-léninistes et les humains capitalistes. De part
et d’autre, on parle de regrets, de craintes infondées, des rumeurs mauvaises, de la nécessité de la
discipline ; mais on se réjouit également des rations basses, de la durée élevée du temps de travail et
« du refus de dorloter les animaux de la Ferme 197 ». L’usage du mot camarade est aboli ; la propriété
se trouve concentrée dans les mains des cochons ; le défilé devant le crâne de Sage l’Ancien est
supprimé ; on enlève la corne et le sabot sur le drapeau ; la Ferme des Animaux redevient la Ferme
du Manoir.
Les animaux qui regardent ce banquet de l’extérieur n’en croient pas leurs yeux. Les cochons
ressemblent physiquement aux humains et vice versa au point qu’on ne sait plus qui est qui. La soirée