Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
nomenklatura et l’appauvrissement du prolétariat – c’est le temps de la
désillusion. La situation est prête pour une nouvelle Révolution – qui est
contre-révolutionnaire…
Quelle leçon faut-il retenir de cette fable ? Que la Révolution est comme
Saturne : elle mange ses enfants ; qu’elle promet ce qu’elle ne tient pas : du
bonheur et de la paix, de la prospérité et de la fraternité ; qu’elle donne
même le contraire de ce qu’elle a annoncé : le malheur et la guerre, la
misère, la famine et la guerre de tous contre tous ; que le réel donne tort à
l’utopie dans les grandes lignes et dans le détail, mais que les
révolutionnaires préfèrent un mensonge de leur camp à une vérité du camp
d’en face ; que l’enthousiasme du départ se transforme en désespérance à
l’arrivée ; qu’elle multiplie les mensonges, la propagande, les
mystifications, les légendes, afin de faire croire que le réel n’a pas lieu mais
qu’à la place le rêve se réalise, même si tout prouve le contraire ; qu’il faut
compter avec la nature humaine, car l’homme n’est pas naturellement bon,
ça n’est pas la société qui le corrompt, il ne suffit pas de changer la société
pour recouvrer l’homme naturellement bon, car l’homme est un loup pour
l’homme et s’il était bon il n’y aurait aucune raison pour que le mal sorte de
ses choix, de ses volontés et de ses actes.
Faut-il alors faire son deuil de tout idéal ? Doit-on consentir au pire parce
qu’il serait inévitable, inéluctable ? S’agit-il de se faire une raison en
devenant pessimiste et misanthrope, défaitiste et ennemi du genre humain ?
Nulle part Orwell ne dit quoi que ce soit qui ressemble à cela. Sa vie le
prouve, et son combat contre le totalitarisme en est l’illustration, il a été
véritablement un homme de gauche.
La gauche d’Orwell est une gauche tragique et libertaire. Il n’envisage
aucune société radieuse avec des lendemains heureux. Les hommes de
pouvoir que sont les révolutionnaires professionnels, avec leurs intellectuels
et leurs poètes, sont des porcs ou des truies, des verrats ou des gorets, des
chiens aussi ; les hommes de religion qui font le jeu du pouvoir en vendant
leurs fariboles sont des corbeaux ; les hommes du commun sont des
moutons qui bêlent et agissent de façon grégaire, ce sont aussi des poules
qui pondent, des vaches qui ruminent, des pigeons qui fientent et portent
des messages sans se soucier de leurs contenus ; les hommes laborieux sont
des chevaux de trait, pas bien méchants, mais tout juste bons à obéir
aveuglément et à travailler obstinément ; de même avec les femmes futiles,