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(1) Michel Onfray - Théorie de la dictature-Robert Laffont (2019)

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l’ambiance est sombre, noire, glauque, sale, crasseuse, visqueuse,

poisseuse, sordide, malpropre ; mais il est dit ici ou là que l’espoir peut

venir des prolétaires, les « prolos » dans le texte, qui constituent 85 % de la

population : « S’ils le voulaient, ils auraient la puissance de faire exploser le

Parti du jour au lendemain » 104 . Ou bien encore : « S’il y a un espoir, il est

du côté des prolos 104 . » Et ceci : « Les prolos sont restés humains. Ils n’ont

pas le cœur endurci. Ils n’ont pas abandonné les émotions primaires 196 . » Et

encore : « L’avenir appartient aux prolos […], les prolos sont immortels.

[…] Au bout du compte, leur réveil adviendra. Et d’ici là, quand bien même

il faudrait patienter un millénaire, ils resteront en vie contre toute attente,

tels les oiseaux du ciel, se transmettant par la voie du corps la vitalité que le

Parti ne partage pas et qu’il ne parvient pas davantage à étouffer 258 . » Certes,

ce sont des discours que Winston se tient à lui-même ou à Julia dans leurs

moments de complicité, c’est son espoir. Mais la fin du roman ne témoigne

pas en faveur de cet espoir : après une incarcération et les épreuves de la

torture, le rebelle Winston entrera dans le rang, finira par aimer Big Brother

et se fera tuer par le régime en souscrivant à cette décision, tout entier

acquis à sa servitude volontaire.

Que faut-il faire de cet espoir ? Est-ce une leçon dans l’esprit libertaire de

La Boétie qu’Orwell nous donne en laissant croire à son lecteur que la

dictature n’existe que par le consentement de ceux sur lesquels elle s’exerce

et qu’il suffirait au peuple, aux prolos, de ne plus consentir pour que la

dictature ne soit plus ? On peut le croire.

Mais ne serait-ce pas un vœu pieux ? Car La Ferme des animaux donne

une autre leçon. Du moins on n’y trouve pas une seule parcelle d’espoir : la

Révolution est trahie, le peuple en est la victime, point à la ligne. On peut

même extrapoler : il est dans la nature de toute révolution d’être trahie et

dans l’ordre des choses que le peuple en fasse toujours les frais. C’est la

thèse de cette fable…

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