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La lettre et l'esprit<br />
De caractère sacré dans son<br />
principe puisqu'elle véhicule la<br />
parole divine, transmise aux<br />
hommes en arabe, la<br />
calligraphie est devenue, dès le<br />
début des temps islamiques, un<br />
savoir codifié autant qu'un art<br />
vivant qui a laissé partout sa<br />
marque et qui continue,<br />
aujourd'hui encore, d'avoir son<br />
espace propre â côté de la<br />
typographie moderne. Présente<br />
dans tous les pays d'Islam,<br />
qu'elle soit destinée à un usage<br />
religieux, officiel ou privé, elle<br />
se rencontre non seulement sur<br />
le parchemin, puis sur le papier,<br />
mais sur les objets utilitaires,<br />
sur toute représentation<br />
artistique ou architecturale.<br />
Dans l'art de l'ornement, auquel<br />
la calligraphie est intimement<br />
liée, soit en s'y mêlant, soit en<br />
devenant elle-même décor, on<br />
retrouve parfois, sous une forme<br />
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purement géométrique, cette<br />
présence, cette force expressive<br />
de la lettre écrite. En haut, à<br />
gauche : plat de céramique<br />
(Iran, 4e-5e X»/Xle siècle) avec un<br />
adage calligraphié en koufique<br />
nouée (« La science, son goût<br />
est amer au début, mais â la fin,<br />
il est plus doux que le miel. La<br />
santé (pour le possesseur) »). En<br />
bas : incrustée dans la faïence<br />
d'une coupole de la grande<br />
mosquée de Yazd, en Iran<br />
(élevée en 776/1375), la lettre est<br />
ici profession de foi. En haut, à<br />
droite : chaufferette pour les<br />
mains, en cuivre jaune et<br />
décorée d'incrustations d'argent<br />
(Syrie, ir>/XVI« siècle). <strong>Le</strong>s<br />
motifs de l'entrelacs (en haut et<br />
en bas de la sphère), aux<br />
boucles surmontées de hampes<br />
tressées, ne sont pas sans<br />
évoquer le rythme éloquent et<br />
décoratif de l'écriture koufique.<br />
La<br />
de la<br />
par Abdel Majid Meziane<br />
LA pensée musulmane contemporaine,<br />
héritière d'une riche expérience de<br />
participation à la pensée universelle,<br />
connaît de nos jours de profondes révisions<br />
qui sont le signe d'une créativité et d'un<br />
dynamisme à visage nouveau. Contraire¬<br />
ment à ce qui s'est passé à l'ère réformiste<br />
de la fin du XIXe siècle, ce n'est plus sous le<br />
signe de l'adaptation au monde moderne<br />
que se situe l'effort actuel de cette pensée,<br />
mais c'est en participant à la critique des<br />
aventures de la civilisation contemporaine,<br />
et en proposant sa collaboration à l'effort<br />
universel de renouveau, que l'Islam veut<br />
définir sa philosophie actuelle.<br />
Si la reconnaissance des religions anté¬<br />
rieures, l'acceptation presque incondition¬<br />
nelle de toute connaissance scientifique,<br />
l'intérêt porté aux différentes cultures orien¬<br />
tales et occidentales, sont autant de preuves<br />
de la vocation d'ouverture et de l'esprit de<br />
synthèse qui caractérisent la pensée musul¬<br />
mane, l'un des drames spécifiques de la civi¬<br />
lisation musulmane, dans le passé, a été pré¬<br />
cisément celui de l'équilibre difficile à trou¬<br />
ver, entre l'adaptation aux évolutions et<br />
révolutions humaines, et la conservation de<br />
l'essentiel de cette pensée, de ses réalisa- .<br />
tions et de ses grandes tuvres.<br />
Tâche d'autant plus ardue que l'Islam a<br />
pris déjà au départ, et sur un plan doctrinal,<br />
une position unitariste qui dénonce tout<br />
séparatisme entre le théologique et le social,<br />
entre le spirituel et le temporel. La pensée<br />
scientifique, philosophique, ou tout autre<br />
forme de pensée, ne peut, dans une vision<br />
globaliste aussi ferme, se prévaloir d'un<br />
quelconque neutralisme ou d'une transcen¬<br />
dance par rapport à la vie des hommes et<br />
des sociétés humaines. C'est pour cela que<br />
toute innovation intellectuelle doit être<br />
adaptée ou refusée.<br />
Or les tentations d'un conservatisme, sou¬<br />
vent rigide, ou d'un réformisme radicalisant<br />
ont toujours été présentes chez un grand<br />
nombre d'intellectuels, aux écoutes d'une<br />
opinion populaire jalouse de ses traditions et<br />
de son identité. L'élan universaliste d'un Ibn<br />
Sina (Avicenne) qui sait adapter la science et<br />
la philosophie à la théologie musulmane, est<br />
ainsi rectifié par la spiritualité fondamentale¬<br />
ment islamique d'un Ghazali, alors que le<br />
réformisme d'un Ibn Taymiyya, qui con¬<br />
damne toute adaptation, est le reflet du<br />
désir populaire et communautaire de rester<br />
dans la ligne d'un Islam purifié des invasions<br />
ABDEL MAJID MEZIANE esf actuellement<br />
recteur de l'Université d'Alger où il enseigne<br />
depuis 1965. Il est l'auteur de plusieurs<br />
publications (en français et en arabe) concernant<br />
la sociologie culturelle et de nombreuses<br />
publications philosophiques en arabe.