You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Younous Emré, dont on voit ici un<br />
portrait, est l'une des grandes figures<br />
de la littérature turque. La vie de ce<br />
poète mystique soufi est très mal<br />
connue. Né vers le milieu du 7e/XMIe<br />
siècle, il est mort aux environs de<br />
719/1320 et a vécu en Anatolie. Selon la<br />
tradition, il était d'origine paysanne,<br />
pauvre, et derviche. En rupture avec<br />
celle des lettrés de son temps, imbus<br />
de culture livresque et persane, son<br />
ruvre, écrite en turc, dans une langue<br />
harmonieuse et simple, et d'une<br />
sensibilité très vive, domine encore<br />
aujourd'hui la poésie lyrique de la<br />
Turquie.<br />
- tions de ce monde, contre le soi exigeant<br />
(nafs al ammara) cette « égoïté » que l'on<br />
appelle Satan. C'est là le combat (jihad) éso-<br />
térique, le Grand Combat. Muhammad<br />
Iqbal, mystique contemporain pakistanais,<br />
incite à lutter sans relâche :<br />
Ne fais pas de fête sur le rivage,<br />
où se meurt doucement la mélodie de la vie.<br />
Plonge-toi dans la mer, lutte avec les vagues,<br />
car l'immortalité est le prix d'un combat...<br />
Heureux l'homme dont l'âme ignore le repos.<br />
Pour Jami, auteur de deux grands poè¬<br />
mes d'amour, Layla wal Majnun et Yusufwa<br />
Zo/aykha, un amour fou prépare l'homme<br />
pour l'Amour divin : « Si tu veux être libre,<br />
sois captif de l'amour. Si tu veux la joie,<br />
ouvre ta poitrine à la souffrance d'amour. <strong>Le</strong><br />
vin d'amour donne chaleur et ivresse ; sans<br />
lui c'est l'égoïsme glacé... Tu peux poursui¬<br />
vre bien des ideals, mais seul l'amour te déli¬<br />
vrera de toi-même... Hume d'abord la coupe<br />
du vin des apparences, si tu veux savourer<br />
ensuite la gorgée de la liqueur mystique ».<br />
Soltan Muhammad Aga Khan l'explique<br />
admirablement : « Celui qui a le bonheur<br />
d'inspirer et d'éprouver l'amour de la créa¬<br />
ture humaine doit s'y abandonner et y<br />
répondre avec gratitude, le considérer<br />
comme une bénédiction, une source de<br />
66<br />
fierté... Mais de même que les joies de<br />
l'amour humain surpassent tout ce que la<br />
richesse et le pouvoir apportent à un<br />
homme, de même l'amour spirituel et la<br />
révélation fruit de cette sublime percep¬<br />
tion, de cette vision directe de la Vérité, qui<br />
est un don et une grâce de Dieu surpas¬<br />
sent tout ce que l'amour humain le plus sin¬<br />
cère et le plus profond peut nous donner ».<br />
« Tous les chemins mènent à Dieu, dit<br />
Rumi, j'ai choisi celui de la danse et de la<br />
musique... Celui qui aime alimente son<br />
amour en prêtant l'oreille à la musique, car la<br />
musique lui remémore les joies de sa pre¬<br />
mière union avec Dieu ».<br />
La présence au XXe siècle de grands<br />
mystiques musulmans, tels que le Marocain<br />
Ahmad al-'Alawi, le Pakistanais Mohammad<br />
Iqbal, le Peul Tyerno Bokar Salif Tal, le<br />
Libyen Ahmad Zarruq, et l'Iranien Soltan<br />
Muhammad Aga Khan, montre à quel point<br />
la mystique est toujours et partout vivante<br />
en Islam. Et elle le restera, comme l'indique<br />
ce hadith du Prophète Muhammad : « La<br />
terre ne manquera jamais de quarante hom¬<br />
mes pareils à l'Ami du Clément (le prophète<br />
Abraham). Par eux vous recevrez à boire, et<br />
par eux vous recevrez à manger ».<br />
Rahmatoullah<br />
Un songe<br />
mystique<br />
« Certaine nuit, après m'être acquitté de la<br />
Prière et des récitations liturgiques prévues<br />
pour les heures nocturnes, je continuai à<br />
méditer. Et voici que, extatiquement<br />
absorbé, j'eus une vision. Il y avait un khân-<br />
qâh (loge des soufis) extrêmement élevé ; il<br />
était ouvert ; moi-même j'étais dans le khân-<br />
qâh. Tout à coup je vis que j'en étais sorti.<br />
Je vis que la totalité de l'univers, dans la<br />
structure qu'il présente, consiste en<br />
Lumière. Tout était devenu monochrome, et<br />
tous les atomes des êtres, par leur mode<br />
d'être propre et leur vertu particulière, pro¬<br />
clamaient : « Je suis la Vérité ». J'étais inca¬<br />
pable d'interpréter comme il le fallait le mode<br />
d'être qui le leur faisait proclamer. Lorsque<br />
j'eus perçu visionnairement cet état, une<br />
ivresse et une exaltation, un désir et une<br />
délectation extraordinaires, se firent jour en<br />
moi-même. Je voulus m'envoler dans les<br />
airs. Je m'aperçus qu'il y avait à mon pied<br />
quelque chose qui ressemblait à une pièce<br />
de bois, et qui m'empêchait de prendre mon<br />
envol. Avec une émotion violente, je frappai<br />
mon pied contre terre de toutes les manières<br />
possibles, jusqu'à ce que cette pièce de bois<br />
se détachât. Comme une flèche qui s'élance<br />
de l'arc, ou plutôt avec cent fois plus de<br />
force, je m'élevai et m'éloignai. Lorsque<br />
j'arrivai au premier Ciel, je vis que la Lune<br />
s'était fondue, et je passai à travers la Lune.<br />
Puis, revenant de cet état et de cette<br />
absence, je me retrouvai présent. »<br />
Shams al-Din Lahiji<br />
Shams al-Din Lahiji, mort en 911/1506, est<br />
un mystique persan connu notamment par<br />
ses commentaires d'une maîtresse du<br />
soufisme, la Roseraie du mystère (Golshan-e<br />
Raz), du célèbre mystique de langue per¬<br />
sane, Mahmud Shabestari. Ce texte est<br />
extrait de <strong>Le</strong> soufisme, par Laleh Bakhtiar,<br />
éditions du Seuil, 1977.