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Dom Juan

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héroïques qu’il s’impatientait de vivre. Les autres, officiers,<br />

soldats, avaient des nerfs et des angoisses, les traits tirés, des<br />

rides en plus. Des alertes générales avaient déjà remis les<br />

bataillons sur pied, pour trois fois rien, des escarmouches, des<br />

tirs isolés qu’on devait à la proximité des campements<br />

autrichiens et à cette obscurité qui ne permettait pas de<br />

distinguer les uniformes. Chacun pensait qu’il se reposerait<br />

après la bataille, sur terre ou en dessous.<br />

Dans le grenier fortifié d’Essling, assis sur un tambour, une<br />

planche sur les genoux, le colonel Lejeune écrivait à<br />

Mademoiselle Krauss. Il méditait en trempant sa plume de<br />

corbeau dans le petit encrier qu’il emportait toujours pour ses<br />

croquis. Il ne racontait rien à Anna des horreurs et des dangers,<br />

il ne lui parlait que d’elle, et des théâtres de Vienne où ils iraient<br />

bientôt, des tableaux qu’il envisageait de peindre, de Paris<br />

surtout, du célèbre Joly, ce coiffeur en vogue qui lui tournerait<br />

un chignon à la Nina, et des bijoux qu’il lui offrirait, ou des<br />

souliers de chez Cop, si légers qu’on les déchirait en marchant ;<br />

ils iraient se promener dans les allées et sous les kiosques de<br />

Tivoli, à la lueur des lanternes rouges pendues aux arbres.<br />

Lueur, rouge, ces mots n’évoquaient pas Tivoli dans l’esprit de<br />

Lejeune ; ils lui avaient été inspirés par les incendies qui<br />

l’environnaient. Bref, il se voulait désinvolte mais n’y parvenait<br />

pas ou mal, cela devait se sentir, ses phrases restaient sèches,<br />

trop brèves, comme inquiètes. La guerre n’a rien de lyrique,<br />

pensait-il, ou alors de loin. Il avait tout de même failli mourir au<br />

moins trois fois pendant cette journée sauvage. Les images<br />

d’Aspern en feu remplaçaient celles des jardins calmes de Tivoli,<br />

et Masséna les artistes en cheveux que la mode enrichissait.<br />

— Lejeune !<br />

— Votre Excellence ?<br />

— Lejeune, demanda Berthier, où en sont les réparations du<br />

grand pont ?<br />

— Périgord est sur place. Il doit nous prévenir quand les<br />

troupes de la rive droite pourront passer le Danube.<br />

— Allons voir, dit encore Berthier qui jusque-là discutait<br />

avec le maréchal Lannes.<br />

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