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ameau à la main pour s’éventer et chasser les mouches. Les<br />
blessures avaient été tarifées : quarante francs pour deux<br />
membres coupés, vingt francs pour un membre, dix francs pour<br />
les autres blessures si elles provoquaient un handicap. Le<br />
trésorier Peyrusse gratifia de ce secours, selon son estimation<br />
personnelle, dix mille sept cents blessés.<br />
Comme le docteur Percy manquait de personnel, malgré ses<br />
plaintes continues, et que le nombre des blessés méritait des<br />
escouades fournies d’infirmiers, d’aides, de cantiniers, de<br />
lavandières, de blanchisseurs, il avait reçu du général Molitor la<br />
permission de conserver le voltigeur Paradis dans son service :<br />
« Cet homme est impropre à combattre, ce qu’il a subi lui a un<br />
peu fêlé la cervelle, mais il a deux bras, deux jambes, il est<br />
robuste et j’en ai besoin. Il me sera plus utile qu’à vous. »<br />
Molitor avait donc signé le changement d’affectation sans<br />
rechigner ; il espérait d’ailleurs l’arrivée de conscrits pour<br />
remplumer sa division. Ainsi, en portant un seau d’eau usée,<br />
Paradis vit son Empereur pour la première fois de près, à le<br />
toucher : il visitait l’hôtel du Prince Albert, arrangé en hôpital,<br />
pour décorer des braves culs-de-jatte qui en pleuraient<br />
d’émotion.<br />
On n’avait pu ramener à Vienne les blessés les plus graves,<br />
alors les villageois d’Ebersdorf les hébergeaient, en face de la<br />
Lobau. Le maréchal Lannes avait eu les deux jambes amputées ;<br />
il logeait chez un brasseur, au premier étage, dans une chambre<br />
au-dessus de l’écurie. Quatre jours durant on crut qu’il allait se<br />
rétablir, il parlait de prothèses, rêvait d’avenir, imaginait les<br />
moyens de diriger une armée quand on n’avait plus de jambes,<br />
dans un tonneau, disait-il, comme l’amiral Nelson. La chaleur<br />
était extrême et monta jusqu’à trente degrés. Les plaies<br />
s’infectaient. La chambre empestait ; un valet abandonna le<br />
maréchal à cause des miasmes qu’il ne supportait pas, l’autre<br />
tomba malade et Marbot, le fidèle Marbot, demeura seul au<br />
chevet de son maréchal ; il en oubliait de soigner sa cuisse qui<br />
gonflait et s’enflammait. Il veillait jour et nuit. Il recueillait des<br />
confidences et des espoirs. Il assistait de son mieux le docteur<br />
Yvan et le docteur Franck, un chirurgien de la cour d’Autriche<br />
qui s’était mis à la disposition de ses confrères français. Rien n’y<br />
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