You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
<strong>Vapeur</strong> <strong>Mauve</strong><br />
22<br />
n’étaient qu’une jungle de lianes. J’avais suivi les<br />
usages établis et ça ne marchait pas. »<br />
Plus loin il ajoute la chose suivante :<br />
« Professionnellement les dix dernières années<br />
m’avaient laissé défait et épuisé. Bien des fois en<br />
approchant de la scène avant le concert je m’étais<br />
surpris à penser que je ne respectais pas ma propre<br />
parole. Quelqu’un s’était évanoui en moi et j’avais<br />
besoin de le retrouver. J’ai tenté de le sortir de force<br />
(...) mais c’était inutile, je me sentais foutu, dépouillé...<br />
une épave. »<br />
Les critiques sont évidemment très négatives et le<br />
public lui tourne peu à peu le dos pour ne pas voir la<br />
déchéance d’un des artistes les plus populaires des<br />
années 60-70. Bref, en 1988 Dylan est au bout du<br />
rouleau et envisage très sérieusement de mettre un<br />
terme à sa carrière discographique. Pourtant depuis<br />
quelques mois il semble avoir comme un retour<br />
d’inspiration. Seul chez lui il commence à écrire<br />
quelques textes, sans mélodies. Des bons textes...<br />
très bons même. Mais au lieu de courir en studio<br />
comme il l’aurait fait 20 ans plus tôt il se contente de<br />
les ranger dans ses tiroirs. La confiance n’est plus<br />
là. Quelques semaines plus tard, lors d’un dîner, il<br />
confie à Bono son projet de mettre un terme à sa<br />
carrière discographique. Bono lui conseille alors de<br />
contacter Daniel Lanois producteur de l’album phare<br />
de U2 : The Joshua Tree. La première rencontre<br />
entre les deux hommes sera assez froide, mais<br />
suffisamment constructive pour que les deux artistes<br />
au fort caractère acceptent de travailler ensemble.<br />
Les séances démarrent à la nouvelle Orléans où<br />
Lanois a loué un vieux manoir qu’il transforme en<br />
studio. Le Zim souhaite commencer par un titre<br />
rock, Political World. Dylan enregistre une version<br />
très directe qui semble lui convenir, mais Lanois<br />
lui demande d’en refaire une autre et puis encore<br />
une autre. Et puis Lanois commence à changer<br />
les arrangements en les rendant plus funky. Dylan<br />
se demande bien où il veut en venir. Au bout d’un<br />
moment il quitte le studio pour n’y revenir que le<br />
lendemain matin. Lanois, qui a passé toute la nuit à<br />
bûcher sur le morceau, lui fait écouter le résultat final<br />
que Dylan qualifie de... très mauvais !<br />
Évidemment avec deux têtes de cochons comme<br />
Dylan et Lanois le ton ne tarde pas à monter et le<br />
producteur finit par briser sa Dobro de colère contre<br />
les murs du studio. Ambiance.<br />
Heureusement, toutes les séances n’ont pas été<br />
aussi viriles. Dylan y revient longuement dans ses<br />
chroniques publiées en 2004. Il rend hommage,<br />
par exemple, à la manière dont Lanois à produit la<br />
chanson Ring Them Bells, véritable pierre angulaire<br />
de l’album.<br />
« Lanois en a conquis l’essence, le cœur, et il y<br />
a insufflé toute sa magie. Nous l’avons gravée<br />
exactement comme elle m’est venue. Deux-trois<br />
prises avec moi au piano, Dan à la guitare, Malcom<br />
au clavier. Dan a saisi l’instant à la perfection. Il a<br />
peut-être même embrassé toute l’époque. Il a fait le<br />
bon choix – produit une version précise, dynamique,<br />
sensible pour toutes les oreilles. La chanson se tient<br />
droite du début à la fin. »<br />
Si les deux hommes ont une vision diamétralement<br />
opposée du travail en studio (Lanois prônant le<br />
professionnalisme là où Dylan souhaite privilégier la<br />
spontanéité), ils finiront néanmoins par apprendre à<br />
se respecter mutuellement. À tel point que le Zim<br />
dressera un portrait assez flatteur de Lanois dans<br />
ses chroniques, insistant sur le fait qu’il a su donner<br />
à cet album le son qu’il fallait pour mettre en valeur<br />
ses chansons. Lanois a sans doute aussi aidé Dylan<br />
a repositionné sa voix. Les clopes et l’alcool ont<br />
naturellement fini par user les cordes vocales du Zim<br />
qui n’arrive plus à projeter ses mots comme dans<br />
les années 60-70. Alors sur ce disque, il modifie<br />
complètement son phrasé pour se fondre totalement<br />
dans le paysage musical qui l’entoure. Les envolées<br />
mélodiques sont délaissées au profit d’un phrasé<br />
plus grave et expressif que jamais. Durant les années<br />
qui vont suivre Dylan n’aura de cesse d’approfondir<br />
le travail vocal entrepris sur cet album. Oh Mercy<br />
représente donc un véritable tournant dans la<br />
carrière du chanteur de 48 ans.<br />
À la sortie du disque, en septembre 1989, les<br />
critiques furent bonnes, mais les ventes décevantes.<br />
Qu’importe, Oh Mercy représente bel et bien, avec le<br />
recul, une résurrection pour le Zim. Mais le Dylan qui