Les tribulations d'un sinophile dans la Chine républicaine Le ... - AFEC

Le musicien et pédagogue Alfred Westharp
Westharp se dissimulait derrière une tenture pour ne pas être vu des gens. Il
lui fallait en effet jouer tout nu afin que l'étoffe de ses vêtements ne le
dérangeât pas. Puis il disait : « Ne toussez pas pendant que je joue, sinon je
piquerai une terrible colère. » Cela voulait dire que lorsqu'il jouait, il était
corps et âme en activité : le moindre obstacle rencontré l'aurait mis dans une
irrépressible colère. À la fin de son récital, il était tout couvert de sueur et
devait se laver aussitôt. La musique qu'il interprétait était majestueuse,
vigoureuse et représentait parfaitement les œuvres d'esprit occidental. Mais
moi, étant un Chinois — d'un état d'âme paisible et doux —, j'avais
l'impression, tandis que j'écoutais cette musique exprimant tellement l'esprit
occidental, de ne pas être tout à fait sur la même longueur d'onde, de ne pas
savoir la recevoir totalement et de ne pas en retirer une parfaite satisfaction.
En dépit de sa valeur, ni moi ni les autres auditeurs ne purent éprouver de
satisfaction. 15
Outre qu'il fît cette prestation mémorable, Westharp prononça sur la
pédagogie réformée et les défauts de l'éducation chinoise d'alors un
discours d'un esprit très pacifiste qui ne manqua pas d'agacer quelque peu
un auditoire de politiciens et d'intellectuels unis par un ardent nationalisme
non dénué d'intentions belliqueuses 16 . C'est néanmoins à l'issue de
ce colloque que Yan Xishan le nomma directeur pédagogique et administratif
de l'École des langues étrangères qu'il venait de créer deux ans
auparavant et dont il était lui-même président 17 . Cette décision pourrait
15 Cf. Liang Shuming (1940), p. 118-119 (« Tan yinyue » [À propos de la
musique], p. 117-119).
16 L'intitulé exact de son discours n'a pas été préservé dans nos sources. Il est
probable que ce discours ressemblait à celui que Westharp avait prononcé peu
avant à Pékin et dont le texte est conservé à la Bibliothèque nationale de Pékin,
car il y est question des idées centrales de la pédagogie réformée soutenues par
l'Allemand. Cf. Westharp (1920).
17 Depuis le début de l'année 1920 au moins, Westharp était à la recherche d'un
poste de professeur de français, comme en témoigne une lettre du recteur de
l'Université de Pékin datant du 13 février. Cai Yuanpei (1868-1940), dans cette
lettre, encourage Westharp à présenter sa candidature. Cependant, nous ignorons
la suite de la démarche ; vraisemblablement, elle n'aboutit pas. Cf. Cai
Yuanpei (1984), vol. 3, p. 388. Westharp demandait entre autres choses un
salaire mensuel de cent vingt yuan et avait joint à sa postulation un programme
de cours (qui ne nous est pas parvenu).
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