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Le Gourgandin - Fran.. - Index of

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Chapitre 38<br />

Vendredi 26 mars<br />

Je suis clouée au lit. Clouée n'est pas qu'une expression. Clouée, crucifiée, si tant est qu'on puisse n'être<br />

crucifié que par la moitié du corps. L'épaule gauche au supplice du brodequin, le bras dans les rôtissoires<br />

de l'enfer. La torture ne s'apaise qu'avec le miraculeux Myolastan, qui, en « décontracturant » les muscles,<br />

m'envoie illico planer dans les contrées étranges, entre rêve et sommeil, où je me balade en total état<br />

d'apesanteur. Plus d'épaule, plus de dos, plus rien. Ma tête est un ballon qui voltige au bout d'un grand fil<br />

aux grâces serpentines et vertigineuses.<br />

Il est 10 heures et demie, je résiste, pour pouvoir écrire un peu, aux attraits du Myolastan, mais la crampe<br />

me travaille si fort que je ne vais pas tarder à gober le cachet salvateur. J'aurais fait un piètre Jean<br />

Moulin...<br />

Mercredi après-midi, j'avais trouvé le moyen de me soulager un peu, avec une lampe à infrarouge oubliée<br />

dans un placard, et dont j'ai redécouvert les vertus. Là-dessus Antoine, aux petits soins, me masse avec du<br />

révulsif, et le répit me semble si délectable que, puisque le bébé est chez Marie pour deux jours, nous<br />

décidons d'aller au cinéma avec notre grande fille. Au moment du départ, Antoine, pour une contrariété<br />

futile, se venge sur la mécanique, écrase successivement l'accélérateur, le frein, cale, fait bondir la<br />

voiture, recule, franchit d'un élan furibard les trois ralentisseurs de notre rue... A la première secousse,<br />

mon épaule a protesté tout de suite. Aux suivantes, c'était une manif complète, avec ma nuque qui<br />

brandissait l'étendard de la névralgie, mon dos qui scandait les hurlements des courbatures, mon bras,<br />

crispé par l'inflammation, ma main, mes doigts, trépignant ensemble d'élancements vindicatifs...<br />

Affreuse soirée, à me tortiller dans mon fauteuil de cinéma, à tirer sur mes phalanges pour essayer de<br />

bâillonner la cuisson, à écraser mon coude, masser mon épaule, faire craquer ma nuque... Je n'ai rien dit<br />

pour ne pas gâcher le plaisir de ma grande, que nous sortons trop peu souvent. Pour ne pas me laisser<br />

aller non plus à une kyrielle de récriminations violentes contre Antoine qui n'auraient pas tardé, puisqu'il<br />

m'aurait répondu avec sa mauvaise foi coutumière, à dégénérer en scène de ménage. En fait, il n'y avait<br />

rira à dire, j'avais seulement l'envie de lui coller mon poing valide sur la gueule, mais, baste, j'ai essayé<br />

cet argument il y a bien longtemps, et il serait trop long d'en narrer les conséquences...<br />

En arrivant à la maison, j'ai sauté sur le merveilleux Myolastan, et sombré dans un sommeil abruti, pour<br />

n'en émerger qu'hier, jeudi, à 7 h 30. Premier pied sur le plancher. Ça tangue un peu, mais l'épaule reste<br />

muette. Trois pas vers la salle de bains. Rien ne va plus, la douleur ressurgit, entière, narquoise, me<br />

chauffe le cou, me brûle le bras, m'incendie le coude. La perspective de me laver, de m'habiller, de sortir<br />

sous cette averse glaciale de neige fondue qui, aux petites heures matinales, a encroûté mon pare-brise<br />

d'un grésil compact, l'idée d'attraper mon attaché-case, de gratter la glace sur la voiture, de porter mes<br />

dossiers, de grimper les étages au bureau... Brr ! La boîte de Myolastan me tend ses petits bras féeriques,<br />

j'avale la pilule du bonheur et zou ! Retour à la case départ, dans mes draps encore chauds où l'euphorie<br />

de la détente m'embarque tout de suite dans un trip rédempteur. Avant de sombrer tout à fait, j'appelle Isa

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