Le Gourgandin - Fran.. - Index of

Chapitre 22
Samedi 8 février
Ma chérie,
Tous ces gestes, tous ces mots, je les tords, je les décortique, je les rumine, et dès que je tente
maladroitement de coucher sur le papier un essai d'analyse, j'étouffe, je suis désespérément sèche,
malhabile et stérile. Dans quelques mois, je serai partie et votre vie continuera comme avant. Vous
vieillirez ensemble, à votre manière, et moi, je ne serai plus qu'un vague, vague souvenir...
Et quand vous évoquerez vos souvenirs de guerre, vous direz : « Tu te souviens, c'était en 91, une
secrétaire, une petite rousse, un peu naïve, un peu compliquée aussi-Complices, un éclair de malice dans
les yeux, vous serez un instant sur la même longueur d'onde, et la vie aura passé...
... J'ai repensé à tes mots... «... Il couche encore avec Myriam. » Et alors ? Il t'a annoncé le fameux mardi
qu'il avait mis un point final à nos égarements, même si « j'insistais » (dixit). T’a-t-il aussi raconté qu'une
des dernières fois où je lui avais écrit, je lui signifiais tout aussi nettement que je ne supportais plus ses
jeux pervers ?... Que je voulais faire un autodafé symbolique de mes lettres ? « Que ces jeux-là n'étaient
pas pour moi. Qu'il vous fallait continuer à jouer tous les deux, tous les trois, tous les dix, sans moi...»
Je ne t'infligerai pas plus de ma mauvaise prose, ni des points de suspension de notre trop courte histoire,
par tendresse, par timidité, par pudeur aussi.
Bien sûr, je n'ai jamais cru à son amour, mais je pensais avoir vécu avec lui quelques moments « vrais »,
intimes, quelques parenthèses un peu tendres... Tu m'as donné la preuve par neuf que tout était faux,
cynique, sordide !
Quand nous parlions (et oui, cela arrivait), il me reprochait de le considérer au travers de ta loupe à toi !
J'ai besoin de recul, de distance, de l'arracher de ma mémoire comme un liseron récalcitrant. Je ne veux
plus rien croire, plus rien penser... J'ai été la seule victime offerte au sacrifice ! « L'autre » ne l'a pas été,
officiellement, du moins ! Est-ce un honneur, ou la preuve que je n'étais qu'un vulgaire coup ?
Cela n'a pas d'importance, au fond !...
Si cette « rupture » est un cadeau, prends-le, apprécie-le, profites-en, c'est plus précieux qu'un parfum,
plus intime aussi.