Le Gourgandin - Fran.. - Index of

Il est resté un moment, content parce qu'Irène, une ancienne petite dactylo du service, se blottissait contre
lui avec des exclamations naïves et sincères. « Toujours aussi beau ! lui disait-elle. Ah ! Tu sais, il n'y en
a pas des comme toi, ailleurs ! Tu n'as pas changé, je t'aime ! »
Il se laissait caresser, prêtait son épaule à la frimousse émue et câline d'Irène. Exceptionnellement, je ne
me sentais pas agacée par l'hommage de cette petite bonne femme sans méchanceté. J'enviais seulement sa
simplicité dénuée de calcul, j'admirais qu'elle sût dire aussi authentiquement des mots charmants et vrais
que le gourgandin savourait en souriant J'aurais voulu joindre ma voix à la sienne, m'unir à sa ferveur, et
soupirer comme elle : « Oui, il est beau et je l'aime. » Mais, de la part de la gourgandine, le gourgandin
eût cru, sûrement, à de la dérision... Ma passion, ravagée de doutes, attisée de désirs exclusifs, nourrie de
jalousie, exacerbée par les défis, l'a trop habitué à l'ironie, à la violence et à la démesure. Mon langage,
jusque-là, fut de cris, de rires et de grincements. Et s'il me venait, après tant d'années, des besoins de
murmures ?...
Plus tard dans la soirée, je me suis aperçue qu'il n'était plus là. Isa avait également disparu. Et peut-être
Myriam... Et... Aline aussi, me semble-t-il... Quelque chose en moi a un peu frémi, à peine. Un peu brûlé.
Le lointain écho d'une vieille blessure, qui lancine encore de temps en temps. Une très très ancienne
névralgie qui n'a plus guère de mordant, vous raidit juste quelques secondes, vous alarme, pèse un peu sur
vous de sa griffe émoussée, sans vous égratigner.
Isa est revenue, avec une nouvelle robe. Elle m'a dit : « En dansant, j'ai craqué ma fermeture Eclair. Je
suis allée me changer. » Je n'ai pas cherché à tricher : « J'ai cru que tu étais partie avec lui. » Elle m'a
planté son regard droit dans les yeux, a posé sur mon poignet une main ferme, comme pour jurer ! : « Je
ne lui ai pas adressé la parole de la soirée ! » Au fond de moi, je ne l'ai pas crue. Mais ça n'avait pas trop
d'importance. J'ai continué à rire, à boire, à tanguer dans des bras différents, à étreindre des mains, de la
bouche et du cœur les hommes et les femmes les plus aimables de la fête. Irène, dans un coin, a dit
tristement : « II est encore parti en douce sans rien dire...» C'est elle qui avait envie de pleurer.