Le Gourgandin - Fran.. - Index of

Il me rattrape dans le couloir, après être allé consulter ses tablettes magiques :
- Oui, 86, tu as raison... Mais pourquoi ?...
Il ne peut pas savoir que j'ai entrepris, dans ma tête, une vaste révision de notre histoire... Juin 85, il fait
beau et chaud à Paris où le stage a lieu plus tard que d'habitude, c'est l'été, nous traînons, après les
journées studieuses, aux terrasses des cafés. J'ai des robes légères, décolletées, je taquine le gourgandin
sans trop d'arrière-pensée, Alfred me trouve belle et me le dit, le gourgandin aussi, et me le prouve. Très
mal. Les vacances passent. Automne 85. Hiver 86. Il me relance souvent, j'accepte les rendez-vous,
désabusée d'avance. Un jour, tout bascule, j'en tombe amoureuse. Printemps 86, Anne-Marie Listéra,
nouvelle recrue à la Boîte, le drague effrontément Je commence à souffrir bêtement de jalousie. Je ne sais
pas encore que c'est une maladie incurable. Les crises sont espacées, bénignes. Pourtant, elle est
déchaînée, cette petite garce. Au stage du mois d'avril, elle pénètre chaque soir dans sa chambre (vide,
puisqu'il est avec moi), lui laisse des mots, lui donne des rancarts, fustige les lapins qu'il lui pose et finit,
à bout de patience, par aller le trouver un matin à l'aube alors qu'il vient de réintégrer son lit depuis une
heure ou deux à peine. Je suis au courant de ce qui se passe entre eux, le gourgandin ne me l'a pas laissé
ignorer. Moi, naïve, à cette époque, je rendais grâce à son désir de transparence. Maintenant, je sais que
l'aveu lui était une parure de plus...
Il paraît donc que, sans plus ample informé, elle s'est agenouillée près de lui, l'a déshabillé, a pris son
sexe dans sa bouche. Il paraît aussi que lui, indépendamment de ce morceau de lui-même qui ne
manifestait aucun dégoût, est resté très passif, très indifférent, les mains croisées sous la nuque. Il paraît
encore qu'au bout d'un moment, elle s'est offusquée de la situation, a disparu. Que dans la journée
suivante, elle lui a confié son désarroi, sa profonde humiliation, et sa hâte de s'effacer, de tout effacer...
Il paraît...
A l'époque, j'ai tout gobé. Aujourd'hui, à la lumière de ma grande expérience, et aussi d'une petite preuve
qu'il m'a involontairement donnée l'autre jour, je sais que les choses avec elle ne se sont sûrement pas
arrêtées là... Quand il m'a rattrapée dans le couloir et qu'il m'a assené : « Oui, 86, tu as raison », j'ai
demandé : « Comment tu peux en être si sûr ? - C'est l'année où on a reçu la délégation de la filiale
allemande... J'ai décoré la salle, je m'en souviens. » Pardi, qu'il s'en souvient, il l'a décorée avec elle !
Gageons que nos collègues allemands n'ont pas su quel enthousiasme leur venue avait déchaîné, ni jusqu'à
quel point on l'avait dignement célébrée !...
Mais Anne-Marie, après l'été, ne faisait déjà plus partie des nôtres, et je me suis empressée de l'oublier...
Et ma pauvre petite Isa qui va se comparer à cette éphémère pipeuse !... Je me sens troublée par sa lettre,
par son chagrin, par son dépit. Sa façon de dire « l'Autre » pour parler de Myriam...
C'est étrange, je ne suis plus jalouse de Myriam, depuis que je l'ai été si fort d'Isa. Et je ne le suis plus
non plus d'Isa. Il me semble...
Il me semble que si le gourgandin s'envoyait en l'air, là, sous mes yeux, avec n'importe qui, ça ne me