Le Gourgandin - Fran.. - Index of

La réunion touche à sa fin. Je vais rentrer, retrouver Antoine qui ne travaille pas aujourd'hui, parler avec
lui qui ne m'a rien dit de votre rencontre, et peut-être le haïr...
Ma lettre n'est pas finie. Je crois qu'elle ne finira jamais...
Chez moi.
Mon amour, je t'aime. Je voudrais, toi qui ne sais pas consoler, que tu me prennes dans tes bras, et que tu
me consoles de cette grosse peine qui me tombe dessus. Que tu me laisses pleurer, que tu pleures avec
moi, que tu sois bébête, cucu comme tu ne l'as jamais été, que tu me dises : « Adieu, ma Juliette. Les
Roméo, ça s'en va un jour, ou ça meurt, mais ça ne dure pas éternellement. » J'ai seize ans, et un chagrin
énorme sur le cœur.
Et puis en moi il y a la futée, la rusée, la gourgandine qui se rebiffe. Comment vais-je faire pour résister
au désir de te séduire encore, de briller à tes yeux, d'éclipser les autres ?
Qu'est-ce qui te flattera le plus ? Ma disparition résignée, ou ma révolte têtue ? J'essaierai tout, promis,
juré...
Comme c'est bête ! J'arrivais de Rome en t'ayant un peu oublié, en ayant un peu conjuré cette brûlante
préoccupation que j'ai toujours de toi. Et voilà qu'avec une lettre, une seule, tu redeviens pour moi
l'homme le plus important du monde.
Mon amour, oublie-moi, si c'est plus facile... Mais mon fantôme est me drôle de petite bête obstinée. Il va
te traquer partout à Paris, et surtout sur leurs sales puciers trop étroits qui grincent. Fais-lui bon accueil.
Il n'est que l'ambassadeur de tout mon amour pour toi, dé tous mes rêves, de tous mes souvenirs.
Mon grand, aime-moi encore. Sans ta tendresse, sans ton désir, sans tes regards et tes impatiences, je
serai mutilée...
Ce mardi est bien triste, qui ne ressemble pas aux autres. Pourtant c'est encore avec toi que je suis, et
c'est encore à toi que je dois toute cette richesse : mes doutes et mes tourments. Il y a des gens qui n'ont
jamais eu de chagrin d'amour, les pauvres !...
Ta lettre est douce et chaude : elle n'annonce rien de définitif et m'appelle au secours. Alors j'arrive, me
voilà. Je vais t'aider à me quitter, à me regretter, à me revenir peut-être, à m'aimer mieux, à m'aimer
moins... En tout cas, tu ne me perdras pas. Je ne me suis pas donnée totalement à toi, parce que j'étais