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Le Gourgandin - Fran.. - Index of

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une vendeuse de magasin ridée, une serveuse de restaurant nunuche, une passante sans grâce, car toutes,<br />

trop vite troublées ou éblouies, lui permettaient la facile gloire qu'il affectionne, lui renvoyaient l'image<br />

du don Juan qu'il se croit... Or je le lui ai fait souvent observer : un vrai don Juan chercherait à pousser sa<br />

victoire jusqu'au bout Lui non. Il ne baise que les plus jolies, les plus montables, n'arpente, pour ses<br />

campagnes, que le haut du pavé de l'esthétique, ne consomme que le gratin de l'intellectuel féminin... Ce<br />

qui devrait enivrer d'orgueil les heureuses élues, et finalement signe un mépris infini pour les autres. En<br />

effet, il existe, pour ton mari, une sorte de hiérarchie rudimentaire, selon laquelle il étalonne les femmes<br />

rencontrées : celles, trop moches, ou trop vieilles, ou trop bêtes, avec qui il peut et doit faire le joli cœur,<br />

certain d'avance de son succès. Celles-là le rassurent infiniment, car elles le couvent tout de suite, les<br />

idiotes, d'un œil énamouré, et se rengorgent, chatouillées d'avoir été remarquées, et bousculées un peu,<br />

sans s'<strong>of</strong>fusquer de ne pas l'être davantage... Et puis il y a les autres, dignes de figurer dans le Gault et<br />

Millau amoureux, les plus qu'avouables, avec qui il est nettement moins à l'aise d'emblée, mais qui le<br />

rassurent d'autant plus quand elles se laissent avoir. De celles-ci, il peut, sans déroger, laisser murmurer<br />

autour de lui qu'il en a les faveurs...<br />

Pour te donner une idée plus complète du personnage, ce gourgandin avec qui tu vis et que, somme toute,<br />

tu ignores, Christine, il faut revenir à l'épisode des lettres. Connaissant mon tempérament facétieux, il<br />

m'avait, d'abord, tout de suite incriminée. Mais j'avais nié avec des accents si sincères et si scandalisés,<br />

qu'il avait vite capitulé. « Non, j'en étais sûr, avait-il conclu, ça ne peut pas être toi... Certaines lettres<br />

sont trop vulgaires, trop bêtes. » Etait-ce une ruse pour me faire réagir ? Une sorte de vengeance aussi, à<br />

tout hasard, une façon de me dire : « Si jamais c'est toi, tant pis, voici ce que j'en pense. » Je ne m'étais<br />

pas dénoncée - ce qui avait tout de même entretenu l'énigme et cette sorte de plaisir très égocentrique<br />

qu'il prenait à reparler de temps à autre de l'affaire, en public, et il harcelait alors l'une ou l'autre et<br />

amusait tout le monde, ou bien en privé, quand, dans le coin discret d'un petit café que nous<br />

affectionnions, nous bavardions un moment avant de nous séparer... Et il paradait alors, pour moi seule,<br />

se pomponnait du fard prestigieux de ce mystère, passait en revue les éventuelles coupables, pesait leur<br />

mobile, leur aptitude à une telle farce, finissait par conclure : « Oui, j'en suis certain. Ce sont les petites<br />

stagiaires du deuxième. Des petites connes. Elles me cherchent depuis longtemps...» Je répondais : « Tu<br />

crois ?» Il hochait la tête, me donnait des arguments, buvait du petit lait. Tout le monde aime parler de<br />

soi. <strong>Le</strong> gourgandin bien plus que les autres...<br />

Et puis très longtemps après, un jour où j'ai senti, dans ce petit coin de café, la nécessité de dire quelque<br />

chose de nouveau, de le surprendre un peu, de le confondre aussi, j'ai avoué : « L'affaire des lettres, c'est<br />

moi. » Il n'a pas voulu me croire. Mon aveu le dépossédait finalement. En outre, il pensait sans doute que<br />

j'usurpais la paternité de la blague pour briller, pour piquer sa curiosité et son intérêt. J'ai insisté. Il a été<br />

catégorique : « Non, ce n'est pas toi. » Il doutait sûrement que j'eusse été capable de garder le secret si<br />

longtemps. Alors je lui ai dit : « Je vais te donner une preuve : parmi toutes les lettres que tu as reçues, il<br />

y avait une carte postale représentant Georges Brassens, avec pour légende : "Quand vous ne nous les<br />

caressez pas, chéries, vous nous les cassez." <strong>Le</strong> message surenchérissait : "C'est bien vrai qu'elles nous<br />

les cassent, et qu'on est mieux entre hommes." Suivait une formule sans équivoque, du style "Quand c'est<br />

que je t'en mets une grosse ?" et la signature, "Henri." Cette carte-là, tu ne l'as jamais montrée à<br />

personne !...»<br />

Il est resté un moment les yeux écarquillés, a abattu ses deux grosses pattes sur mes mains, a mis toute sa

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