Le Gourgandin - Fran.. - Index of

comique parce que le tapis s'est dérobé au dernier moment sous ses pieds. Notre étreinte s'est terminée
dans un fou rire, je lui ai demandé : « Tu as joui ?» Il a répondu : « Oui, en tombant », et c'est là, à ce
moment précis, que toute ma tendresse m'est revenue, m'a submergée d'un flot géant, m'a noyé le cœur et
l'âme, m'a ondoyée, chavirée, propulsée vers lui... Son visage soudain me redevenait terriblement
familier, son corps archiconnu, ses bras, son ventre, son cou, ses mains, j'ai tout caressé, tout reconnu,
tout embrassé, humé, mordu... Sa langueur, son abandon d'après l'amour, ses petites confidences sans
conséquence, ses élans et ses pudeurs, tout mon domaine perdu, oublié, tout mon royaume si longtemps
renié, tout m'est revenu en m'ébahissant de joie, je l'aurais gardé jusqu'à la fin du monde ainsi, tendre et
gentil, inoffensif. Il disait : « J'aime bien être tout nu contre toi », et ce n'était pas la première fois qu'il
prononçait cette phrase simple, mais c'était la première fois que je l'entendais vraiment, son ton de petit
garçon, sa ferveur sans apparat, son bonheur sans emphase...
Une fois debout, rhabillé, il disait encore : « Je t'aime bien. » Déclaration qui ne m'offusqua jamais de sa
part, qui hier, m'éblouit de nouveau, et plus qu'avant II insiste sur le « bien », il le prononce à pleine
bouche, comme on mouille un baiser, comme on l'appuie, avec une conviction farouche... Il a dit aussi :
« Ta complicité, tu vois, il ne faudra jamais me la retirer. Jamais. Même quand nous sommes en froid,
c'est trop important pour moi...» J'ai juré bien sûr, attendrie que j'étais, et plus qu'attendrie, liquéfiée de
douceur, de tendresse : « Jamais. Je ne te la reprendrai jamais. »
Une heure après, à la réunion des commerciaux, il était d'humeur plaisante. Il a fait un numéro de charme
époustouflant à une représentante ébaubie, prunelle mobile et scintillante, sourire enjôleur, pattes-d'oie
coquines. En face de lui, elle fondait à vue d'œil, multipliant les risettes incrédules, rosissant de plaisir.
Ce matin, à 11 heures et quart, il a invité Isa à manger. C'est elle qui me l'a dit. Elle a refusé parce qu'on
s'était promis de déjeuner ensemble, elle et moi. Elle m'a dit aussi qu'elle avait changé d'avis. Que oui,
décidément, on allait le coincer. Elle a amorcé un aveu vite étranglé : mardi... ils avaient parlé,
commencé à parler...
C'était bien ça, le miel sur sa pamplemoussite.
Moi, je n'ai pas soufflé mot de mon heure de folie d'hier. Il y a trop longtemps que je n'ai plus rien du
gourgandin qui reste véritablement à moi...