Le Gourgandin - Fran.. - Index of
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son effet, ses cheveux commencent à pousser, son jean moule ses hanches étroites, pas si étroites<br />
qu'avant, Isa a raison, il a un peu grossi, il ouvre la bouche, il va parler, il va prononcer des choses d'une<br />
importance capitale... «Je suis là pour ce matin, dit-il en effet. Ce matin seulement » Il m'a suivie jusqu'au<br />
deuxième étage désert. « Et cet après-midi ? »Je pose la question pour la forme, pour gagner des<br />
secondes, pour ne pas me ruer sur lui et l'embrasser jusqu'à perdre le souffle. « Je suis libre. » Comme<br />
c'est miraculeux ! Comme c'est délicieux, imprévu, si inévitable pourtant ! Moi aussi, il se trouve que je<br />
suis libre. Je propose, sans lui laisser vraiment le temps de répondre (mais il n'a pas besoin, je l'entends<br />
penser) : « "Ri veux qu'on se voie cet après-midi ? Qu'on passe un moment ensemble ? Qu'on mange<br />
ensemble ? Où veux-tu qu'on mange ? » Avec la même simplicité, il acquiesce à toutes mes <strong>of</strong>fres,<br />
suggère : « Chez toi... Je fais les courses, tu me rejoins...» Je lui tends mes clefs en résistant à l'envie<br />
folle de me coucher par terre avec lui car un groupe arrive vers nous. Je chantonne dès qu'il a tourné les<br />
talons, j'exécute un petit pas de danse. <strong>Le</strong>s collègues qui me croisent ont des regards ironiques : « Ça va<br />
mieux, cette épaule, on dirait ? »<br />
A midi et demie, je vis un instant étrange. Pour la première fois depuis bien longtemps, lorsque j'arrive<br />
chez moi, un homme est là qui m'attend, qui n'est pas mon mari. Il a mis sur la chaîne la partition de la<br />
Wally, et la belle voix de Wilhelmine Fernandez emplit la pièce. <strong>Le</strong> sachet de provisions qu'il a achetées<br />
est posé sur la table. Il y restera intact jusqu'à quatre heures et demie. Pourtant nous commençons,<br />
sagement, quoique déjà très étroitement enlacés et divaguant un peu au gré de nos caresses et de cette<br />
musique qui nous porte sur ses grandes ailes, nous commençons par boire un verre, le même d'ailleurs, je<br />
n'en sers qu'un, je bois dans le sien, à peine, j'y trempe mes lèvres, juste pour la familiarité du geste.<br />
Nous sommes dans la cuisine, sa vodka où s'entrechoquent deux glaçons n'est pas assez fraîche, ou alors<br />
c'est qu'il fait trop chaud, avec lui qui me prend, me serre, me retourne, me reprend, m'entoure, parle dans<br />
mes cheveux, contre moi, murmure, soupire, m'étreint, bavarde son amour, son trouble, sa passion, avoue<br />
ses embarras, dénonce ses angoisses, se fait très humble, très précautionneux, très complice, m'envoûte,<br />
me bouleverse, me subjugue de questions inhabituelles, de permissions suffocantes. Il veut savoir, savoir<br />
vraiment ce que je pense du rendez-vous de vendredi, d'Isa, il veut la vérité, l'émotion de mes aveux, il<br />
questionne : « C'est qui ce fantôme blond ? », et comme je lève vers lui des yeux pleins de larmes, et que<br />
je me cramponne au bord des sanglots, parce qu'il m'a dressée ainsi, à endiguer le flot de mes chagrins, à<br />
juguler mes amertumes, je lui dis : « On n'en parle plus, tu veux », il fait cette chose incroyable, il insiste,<br />
avec une douceur si peu coutumière : « Mais si, parlons-en », son écoute me chamboule, sa bonne<br />
volonté, son extrême disponibilité. Il est venu là pour moi, pour me voir, pour parler, pour me dire qu'il<br />
m'aime, que vendredi, ce n'était qu'une expérience, rien de plus, pour me faire de doux reproches, et<br />
s'accuser aussi. « Tu n'as pas répondu à mes coups d'œil, j'ai compris qu'il y avait quelque chose d'autre,<br />
que peut-être tu ne voulais pas, ou plutôt que tu ne pouvais pas...» Il est venu guidé par de vagues<br />
remords, des craintes plus vagues encore, des curiosités, il est venu faire la paix, l'amitié, l'amour et la<br />
tendresse, et me crier, comme il peut, que je suis pour lui ce qu'il est pour moi, c'est-à-dire inoubliable,<br />
obsédante, jusqu'à l'agacement, jusqu'à la douleur. Il est venu clamer sa jalousie, réclamer ses privilèges,<br />
autant que sa dignité lui en donne le droit. « Ça me fait chier, ces histoires avec Gabriel, et les Arabes, et<br />
tous les autres...» Il essaie de tourner en dérision mes dispersions, il en rit, il en souffre, il en crève, je lui<br />
dis : « Demande-moi de renoncer à Gabriel », il ne veut pas. Il ne demande rien. Même ça, ce simulacre<br />
d'union, ce mariage enfantin avec moi, cette promesse de fidélité qu'il lui serait si facile de m'arracher, il<br />
n'en veut pas, il a peur et il a mal, et il ne sait comment le dire, comment le taire. Très vite, nous sommes<br />
nus, l'un contre l'autre, l'un dans l'autre, nous errons, d'une pièce à l'autre, d'un escalier à un fauteuil, mon<br />
corps est difficile, ne résonne pas pr<strong>of</strong>ondément de son appel à lui, et lui non plus ne bande pas si fou, si