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20 <strong>MANUEL</strong> <strong>GÉNÉRAL</strong> DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE<br />
HÉ!<br />
- MON FRANC ? PARLER -il®<br />
Quarante ans après l'obligation scolaire.<br />
Obligation scolaire et post-scolaire. — Une vieille loi qui s'effrite. — Comment la remettre à neul.<br />
La faillite des commissions scolaires. — Inspecteurs primaires et juges de paix.<br />
Admonestations et amendes. — Les étapes de la procédure. — Les sanctions contre l'instituteur.<br />
Vous connaissez le projet de loi soumis<br />
actuellement au Sénat pour prolonger jusqu'àquatorze<br />
ans la scolarité obligatoire. On n'a pas<br />
manqué de faire remarquer à ce propos qu'avant<br />
de créer une obligation post-scolaire, il<br />
fallait assurer l'obligation scolaire. Voilà tantôt<br />
quarante ans qu'elle existe sur le papier et l'on<br />
attend toujours qu'elle devienne une réalité.<br />
« Qui ne peut le moins ne peut le plus », a-t-on<br />
dit justement. La loi actuelle n'est pas obéie.<br />
Vous avez toujours des rcfractaires et'des<br />
analphabètes et, alors que vous ne pouvez ni<br />
attirer ni garder les enfants jusqu'à onze ou<br />
douze ans, vous auriez la prétention de les<br />
emmurer jusqu'à quatorze ! La plaisanterie est<br />
un peu forte.<br />
L'argument a porté. Aussi le premier soin du<br />
législateur a-t-il été de « renforcer » la loi qui<br />
n'a pas donné les résultats attendus. On en<br />
avait confié l'exécution aux maires et aux Commissions<br />
scolaires. Vous savez comment, dans<br />
la pratique, ont fonctionné « ces autorités ».<br />
Sabres de bois, pistolets de paille ! Pour tous les<br />
élus du suffrage universel, la crainte de l'électeur<br />
est le commencement de la sagesse et l'on<br />
ne va pas, vous pensez bien, se brouiller avec<br />
ses électeurs pour les beaux yeux du maître<br />
d'école.<br />
Ces Commissions fantômes n'ont, {lu reste,<br />
vécu pour la plupart que dans l'imagination<br />
des ronds-de-cuir. « Et si quelques-unes, prenant<br />
la loi au sérieux, dit M. Jossot dans son rapport,<br />
essayèrent d'en assurer l'application, leurs<br />
décisions étaient d'une exécution si lointaine,<br />
avec les appels possibles devant le Préfet et la<br />
Commission départementale, que les sanctions<br />
ne paraissaient plus s'adapter aux fautes commises<br />
par les parents. »<br />
Dans le nouveau projet, le rôle assigné aux<br />
Commissions défuntes passera à l'inspecteur<br />
primaire. C'est lui qui citera devant le juge de<br />
paix « les parents, tuteurs ou personnes<br />
responsables ' qui auraient négligé de faire<br />
inscrire sur la listé scolaire un enfant de six<br />
ans à six ans et demi. »<br />
Comme par le passé", bien entendu, les instituteurs<br />
et institutrices doivent, à la fin de chaque<br />
semaine, « faire remettre par les enfants à<br />
leurs parents un livret scolaire où sont mentionnées,<br />
avec les notes obtenues, les absences<br />
des enfants. » Je me demande, en passant,<br />
comment les enfants absents pourront remettre<br />
ledit livret à leurs parents et quelles notes ils<br />
auront bien pu obtenir en leur absence.<br />
Quant aux sanctions, elles sont désormais<br />
confiées au juge de paix. C'est lui qui, saisi par<br />
l'inspecteur, brandira le glaive de la loi. Oh!<br />
pas tout de suite, rassurez-vous!<br />
Il commencera par s'entourer de « tous les<br />
renseignements nécessaires », puis il étudiera<br />
dans le silence du cabinet « la part de responsabilité<br />
» qui peut incomber à chacun. Il signalera,<br />
« s'il y a lieu », la situation des familles<br />
à la bienveillance des autorités locales et ce<br />
n'est qu'après ce préambule qu'il adressera<br />
aux délinquants « une admonestation sous<br />
forme d'avertissement sans frais. »<br />
« Sans frais », vous entendez bien ! Et je<br />
songe involontairement au cocher de fiacre h<br />
qui la Préfecture de police vient d'infliger un<br />
blâme. « Est-ce que ça m'empêchera de conduire<br />
ma voiture? — Non. — Eh bien ! alors,<br />
je m'en f... »<br />
Combien de temps dureront ces préliminaires?<br />
Je n'en sais rien, le législateur non<br />
plus. Ce n'est, toutefois, que douze mois après j<br />
et en cas de récidive que le juge de paix<br />
convoquera les parents « pour s'entendre condamner,<br />
s'il y a lieu, à une amende de cinq à<br />
vingt-cinq francs ». line nouvelle récidive dans ;<br />
les douze mois suivants entraînera condamnation<br />
à une amende de dix à cinquante francs.<br />
Enfin, après une pause sérieuse devant le tribunal<br />
de première instance, s'il est reconnu<br />
que les sanctions appliquées sont de plus en<br />
plus .insuiilsantes, le président du tribunal<br />
pourra enlever le récalcitrant à sa famille pour<br />
un temps qui ne devra pas excéder une année<br />
scolaire.<br />
On oublie, toutefois, de nous dire quel sera,<br />
après tous ces palabres et ces interminables j<br />
stations sur les divers degrés de l'échelle judiciaire,<br />
l'âge scolaire de ces enfants illettrés.<br />
Au surplus, ne nous frappons pas ! La loi<br />
nouvelle n'a pas des mailles très serrées. Elle<br />
prévoit des dispenses ou des réductions de scolarité.<br />
A partir de douze ans, les écoliers peuvent<br />
être dispensés de l'une des deux classes de la<br />
journée pendant quatre mois ou des deux classes<br />
de la journée pendant deux mois. De treize à<br />
quatorze ans, ils peuvent être dispensés' des deux<br />
classes pendant quatre mois. Ces dispenses sont<br />
accordées par l'inspecteur primaire. »<br />
Voilà qui réserve au personnel des occupations<br />
agréables pour ses moments de loisir.<br />
Les instituteurs pourront employer leurs soirées<br />
à faire le décompte des jours ou des demijours<br />
d'absence de leurs élèves et les inspecteurs<br />
dresser des états individuels qui apporteront<br />
une aimable diversion à la confection des !<br />
cartes à demi-tarif. Et ces calculs prendront un<br />
certain temps pendant lequel les écoliers continueront<br />
à battre les buissons.<br />
Il est vrai que, par compensation, les choses<br />
iront plus rondement pour les instituteurs et ;<br />
les institutrices. Tous ceux ou celles qui auront<br />
négligé de tenir à jour leur registre ou de faire<br />
tenir aux familles le livret scolaire à la fin de<br />
chaque semaine seront déférés devant le Conseil<br />
départemental et passibles des peines suivantes:<br />
1° l'avertissement; 2° la censure; 3° la suspension<br />
pour une durée d'un à trois mois et enfin,<br />
en cas de récidive, « l'interdiction d'enseigner à<br />
temps ou absolue. »<br />
D'où je conclus que, pour assurer la fréquentation<br />
scolaire, les sanctions les plus rapides<br />
et les plus dures sont celles qui frapperont<br />
l'instituteur. ANDRÉ BALZ.<br />
0 . GRÉARD. ÉDUCATION ET INSTRUCTION. (Enseignement primaire). In-16 br. 5.75