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MANUEL GÉNÉRAL - INRP

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24 <strong>MANUEL</strong> <strong>GÉNÉRAL</strong> DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE<br />

^ ^ P a r M. Ernest PÉROCHON — —<br />

La retraite de Monsieur Bue, instituteur {suite).<br />

Un instituteur convoite le poste de son collègue, M. Bue, "qui a demandé sa retraite. Ne voyant vieil<br />

venir, il lui rend visite. Accueil étrange. Pour obtenir le repos qu'on lui refuse, M. line<br />

simule la folie.<br />

Un homme entra — après quelque hésitation, me sembla-t-il.<br />

M. Bue le fit pénétrer dans son petit bureau de secrétaire de mairie. Je compris qu'il<br />

s'agissait, d'une déclaration de naissance.<br />

— Gaston-Lucien, disait l'homme.<br />

— Hubert! ajouta M. Bue.<br />

— Non, monsieur!<br />

— Si, monsieur! riposta froidement M. Bue. Je suis chasseur moi, monsieur, je ne suis pas<br />

communiste!... *<br />

* — Je puis me retirer? murmura l'homme.<br />

Le son du cor lui répondit; les vitres tremblèrent.<br />

Le visiteur gagna vivement le vestibule, mais M. Bue le suivit; il avai't lâché son cor et il<br />

criait :<br />

— Il sera Hubert ou il ne sera point! Je ne suis pas communiste, monsieur, je ne. vous<br />

l'envoie pas dire.... Qu'est-ce que vous me chantez avec votre Lénine? Est-il chasseur, oui ou<br />

non? C'est comme votre Moustapha Kemal.... Ma chasse est gardée : je lui secouerai les puces,<br />

moi, à votre Moustapmal Ivefa!<br />

Le visiteur franchit le seuil et tira la porte sur lui. M. Bue revint vers moi en s'épongeant<br />

le front.<br />

— Il fait vraiment trop chaud. Aujourd'hui, j'aurais mieux fait d'être inventeur.<br />

— Vous êtes également inventeur?<br />

Il me montra un vase plein d'huile au fond duquel se trouvaient deux billes de bouliercompteur.<br />

— J'ai trouvé, dit-il, le mouvement perpétuel en attachant ces billes, par des fils très fins,<br />

au balancier de l'horloge. J'ai fait un rapport pour l'Académie des Sciences.<br />

Il cligna de l'œil.<br />

— Et je l'ai adressé par la voie hiérarchique.<br />

— J e comprends!<br />

— N'est-ce pas? Vous comprenez, maintenant!... par la voie hiérarchique!... Le surlendemain,<br />

l'Inspecteur est venu me voir, comme par hasard. Ce jour-là, j'étais marin.<br />

— Ah! vous êtes également marin?<br />

— J e suis pêcheur d'Islande.<br />

Il m'emmena dans son jardin qui descend en pente douce vers la rivière. L'endroit rêvé pour<br />

tendre des verveux et des lignes de fond.<br />

Il ôta sa casaque de piqueur, se couvrit d'un cirage en papier goudronné et se mit à marcher<br />

par les allées en roulant sur ses hanches et en appelant :<br />

— Madame Tressoleur! Madame Tressoleur!<br />

La vieille servante parut à la fenêtre : elle joignit les mains et jeta sur son maître un long<br />

regard chargé de pitié.<br />

— Elle me croit fou, elle aussi, chuchota-t-il ; elle n'est pas rusée.<br />

Nous descendîmes vers la rivière.<br />

— Venez voir mon submersible, dit le bonhomme; il a vivement intéressé M. l'Inspecteur.<br />

Sur l'eau d'un baquet, un sabot de jardinier flottait.<br />

— Il n'a rien de remarquable, votre bateau, observai-je.<br />

— Regardez de plus près, dit M. Bue.<br />

Je m'approchai et je vis que le sabot se hérissait de pointes recourbées.<br />

— Ce sont des hameçons, expliqua M. Bue. Je précise : ce sont des hameçons à morues.<br />

'— Attention! souffiai-je. Ne vous coupez pas : on nous écoute!<br />

A quinze mètres de nous, en effet, une grosse dame péchait à la ligne. Elle était en bateau,<br />

immobile comme une pile de pont, en plein soleil, au milieu de la rivière et elle nous regardait<br />

sans douceur, craignant sans doute que nous n'effarouchions le poisson. Une vraie pêcheuse.<br />

M. Bue reprit à tue-tête :<br />

— A votre âge, monsieur, vous n'êtes pas sans savoir que la morue se pêche à la ligne,<br />

stupidement à la ligne. Et quand vous avez ainsi tiré plus de mille morues très grosses, vos bras<br />

forts sont las, et je prétends, moi, que vous en avez assez!... Ne venez pas me raconter le<br />

contraire! Vous me dites : accrochez un hameçon au bout d'une corde! non, monsieur! non<br />

V. CHERBULIKZ. L'IDÉAL ROMANESQUE EN FRANCE, i vol, in-i6, br. 5 fr. 75

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