La Recherche - Veolia Environnement
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© BENOIT DECOUT/REA<br />
FACTEUR HUMAIN SCIENTISME FACTEUR HUMAIN SCIENTISME<br />
(1) D. Lecourt,<br />
Humain Post-Humain,<br />
PUF, 2003.<br />
(2) H. Jonas,<br />
Le Principe<br />
responsabilité, 1979,<br />
trad. éditions du Cerf,<br />
1991.<br />
(3) E. Bloch, Le<br />
Principe espérance, 3<br />
vol., Paris, Gallimard,<br />
1976, 1982, 1991.<br />
(4) A. Kahn et D.<br />
Lecourt, Bioéthique<br />
et liberté, PUF, 2004.<br />
* Le positivisme<br />
est un courant<br />
philosophique,<br />
popularisé par<br />
Auguste Comte,<br />
qui fonde le<br />
progrès de l’esprit<br />
humain sur le<br />
développement<br />
des « sciences<br />
positives »<br />
(mathématiques,<br />
physique,<br />
chimie...).<br />
* Le principe<br />
de précaution,<br />
entériné en 1992<br />
à la convention<br />
de Rio, vise<br />
à prendre<br />
des mesures<br />
de contrôle<br />
ou d’interdiction<br />
face à un risque<br />
potentiel.<br />
k<br />
On s’empoignait, en<br />
France et à l’étranger, sur le<br />
thème de la « faillite de la<br />
science ».<br />
Il n’empêche. Le scientisme<br />
perdurait. <strong>La</strong> révolution bolchevique y a trouvé son<br />
inspiration dans une vision du monde qui confiait à<br />
une « science de l’histoire » la promesse d’un avenir<br />
radieux pour l’humanité libérée de ses chaînes. Le<br />
régime de l’URSS, pendant toute sa durée, n’a cessé<br />
de s’appuyer sur les prouesses technologiques de ses<br />
ingénieurs pour garder quelque crédibilité aux yeux<br />
d’un peuple misérable et souvent affamé. <strong>La</strong> puissance<br />
de cette idéologie a été telle qu’elle a survécu<br />
à Hiroshima et a même connu une nouvelle vigueur<br />
du fait des exigences de la reconstruction des pays<br />
dévastés par la guerre.<br />
Plus récemment, les progrès de la biologie, le<br />
décryptage du génome humain, les spéculations<br />
des « sciences cognitives » permettent à bien des<br />
chercheurs de se flatter, à leur tour, de<br />
dissiper les « mystères » de la pensée<br />
humaine. D’autres se font fort d’arracher<br />
l’humanité à ses passions natives<br />
et de faire advenir l’ère du post-humain<br />
en créant de toutes pièces des êtres de<br />
silicium qui goûteraient l’immortalité<br />
(1). Secondée par l’outil statistique<br />
et l’informatique, l’étude du cerveau<br />
et du développement du système nerveux central<br />
est supposée déterminer les clés du comportement<br />
humain. L’un des derniers échantillons en date, qui<br />
frise la caricature, prétend avoir décelé une base<br />
neurologique à la préférence des électeurs pour le<br />
vote « libéral » ou « conservateur » (au sens américain<br />
des termes).<br />
96 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />
LES TÉLÉPHONES<br />
MOBILES NOUS<br />
SOUMETTENT-ILS<br />
À UN RAYONNEMENT<br />
ÉLECTROMAGNÉTIQUE<br />
MORTIFÈRE ?<br />
Au centre<br />
du débat : la<br />
toute-puissance<br />
de l’homme<br />
Ces scientifiques qui professent une vision scientiste<br />
du monde peuvent invoquer des faits dont le<br />
caractère bénéfique est incontestable : l’allongement<br />
de la durée de la vie dans les pays développés, l’extraordinaire<br />
expansion des moyens de communication<br />
qui ont intensifié les échanges entre les populations<br />
mêmes les plus éloignées, le fulgurant développement<br />
d’Internet et des télécommunications qui a<br />
bouleversé tous nos modes de vie dans un sens de<br />
convivialité apparemment accrue, l’exploitation de<br />
nouvelles sources d’énergie renouvelable...<br />
Science, nouveau péril<br />
Pourtant, il apparaît, depuis 1992 et le Sommet de<br />
la Terre à Rio, qu’un retournement d’opinion est en<br />
cours, et s’accélère ces dernières années. C’est la responsabilité<br />
de l’homme lui-même qui est invoquée<br />
dans les processus de dégradation de son environnement<br />
et les menaces qui pèsent sur sa santé. À cette<br />
époque, Hans Jonas, philosophe allemand, fervent<br />
défenseur du « principe responsabilité » (2), qui<br />
interdirait à l’homme d’entreprendre aucune action<br />
susceptible de mettre en danger soit l’existence des<br />
générations futures soit la qualité de l’existence future<br />
sur Terre, s’oppose à son compatriote, Ernst Bloch. Il<br />
lui reproche l’optimisme impitoyable de son « principe<br />
espérance » (3), qui défend le parti pris du futur,<br />
la volonté utopique, et plaide pour une « éthique de<br />
la peur ». Une thèse métaphysique – ajustée par des<br />
philosophes à l’occasion d’Hiroshima – nous est assénée<br />
comme un destin : l’humanité a désormais acquis<br />
par la science les instruments d’une puissance qui<br />
peut l’anéantir en tant qu’espèce. <strong>La</strong> science, naguère<br />
conçue comme émancipatrice, devient elle-même<br />
péril pour sa liberté ! L’humanité, ce n’est plus le<br />
« genre des mortels », comme on disait en Grèce ;<br />
nous sommes devenus un « genre mortel ». L’antique<br />
fable de l’apprenti sorcier a connu durant toutes ces<br />
années une fortune sans précédent<br />
et le personnage de Frankenstein,<br />
un extraordinaire regain de faveur.<br />
Trop souvent le « principe de précaution*<br />
», dont on trouve les premières<br />
formulations en Allemagne à la même<br />
époque, a été et reste interprété dans<br />
le sens d’une abstention, voire d’une<br />
interdiction, de chercher ou d’entreprendre,<br />
alors qu’il pourrait plutôt être une puissante<br />
incitation à inventer de nouvelles normes favorables<br />
à l’invention technique et économique.<br />
De la même façon que, en 1945, on accusait la<br />
démesure de l’humanité savante, on critique<br />
aujourd’hui les chercheurs qui ont mis au point les<br />
nouvelles techniques de procréation et de clonage<br />
thérapeutique (4), et ont ainsi entrouvert la porte<br />
au clonage reproductif humain. <strong>La</strong> même alarme<br />
est tirée dans un tout autre domaine, à propos des<br />
nanotechnologies, ou plutôt de ce que les spécialistes<br />
anglo-saxons célèbrent comme la « convergence<br />
NBIC » (nanosciences, biologie, informatique<br />
et sciences de la cognition). Ne peut-on espérer<br />
de cette convergence des innovations potentielles<br />
de grande portée économique et humaine ? Les<br />
systèmes de traitements de l’information vont assurément<br />
y gagner une puissance nouvelle d’une dizaine<br />
d’ordre de grandeur ! Les applications médicales<br />
seront spectaculaires et l’on produira des nanomachines<br />
pour le diagnostic et la thérapeutique de<br />
nombreuses maladies. Les nanotechnologies pourront<br />
contribuer de façon décisive à surmonter l’actuelle<br />
crise environnementale par la création de matériaux<br />
recyclables ou biodégradables. Cette fois-ci,<br />
répliquent ceux qui dénigrent la science, ce sera bien<br />
la fin du monde ! Et ils avancent l’idée qu’une grey<br />
goo* , amas de nanomachines devenues autonomes<br />
et dévorant tout pour se reproduire, aura raison de<br />
nous autres qui nous croyons raisonnables !<br />
On peut bien parler à leur propos de « catastrophisme<br />
». Les faits qui le soutiennent sont bien<br />
connus, alimentant une peur diffuse, mais permanente<br />
toujours prête à connaître de nouveaux<br />
pics de panique. Cette peur doit beaucoup à l’incurie<br />
des autorités qui ont laissé se produire la<br />
catastrophe de Tchernobyl (Ukraine), les errances<br />
du nuage radioactif, les mensonges officiels sur sa<br />
© VERICHIP<br />
TRACER DES MALADES<br />
D’ALZHEIMER<br />
EN LEUR IMPLANTANT<br />
UNE PUCE. RASSURANT<br />
OU INQUIÉTANT ?<br />
© ALEXANDRE GELEBART/REA<br />
trajectoire, l’épidémie de sida, les nouvelles maladies<br />
infectieuses, l’affaire du sang contaminé, les crises<br />
alimentaires majeures comme celle de la vache folle.<br />
Ce sont aujourd’hui des événements climatiques<br />
d’une ampleur et d’une fréquence présentées par<br />
les médias comme sans précédent (canicules,<br />
inondations, tornades, tsunamis…) qui mettent un<br />
accent pathétique sur la vulnérabilité persistante de<br />
l’espèce humaine.<br />
Paradoxe d’un nouveau catastrophisme<br />
Du réchauffement climatique actuel, dont le fait<br />
semble indéniable, on ne sait pas encore exactement la<br />
signification physique réelle, ni la part qu’y prennent<br />
les activités humaines : par exemple, la montée brutale<br />
des émissions de dioxyde de carbone (CO du fait de<br />
2)<br />
l’industrie depuis 1940 s’est accompagnée, non d’un<br />
réchauffement, mais d’un refroidissement jusqu’au<br />
début des années 1970. Le phénomène est donc certainement<br />
plus complexe qu’on ne le présente dans les<br />
médias. L’alarmisme, dont il est l’occasion, renforce<br />
encore le catastrophisme qui désigne la technoscience<br />
comme fauteuse de désastre. Les bases philosophiques<br />
du scientisme traditionnel semblent donc atteintes.<br />
Et tous les secteurs scientifiques sont concernés. Les<br />
phénomènes de technophobie font la une des médias :<br />
les OGM vont-ils ruiner notre santé ? Les téléphones<br />
mobiles vont-ils nous soumettre à un rayonnement<br />
électromagnétique mortifère ? Toute innovation – et<br />
spécialement médicale ou pharmacologique – ne doitelle<br />
pas avoir fait d’avance la preuve de son innocuité,<br />
version radicale du« principe de précaution » ?<br />
Pourtant, dès 1992, à la clôture de la conférence<br />
de Rio, dans l’appel de Heidelberg* , des scientifiques,<br />
parmi les plus éminents, dénonçaient,<br />
dans les thèses écologistes, une « idéologie<br />
k<br />
PRO-OGM ET<br />
ANTI-OGM S’OPPOSENT<br />
DANS UNE LUTTE<br />
PARFOIS SANS RAPPORT<br />
AVEC LES DONNÉES<br />
SCIENTIFIQUES.<br />
* <strong>La</strong> grey goo<br />
ou « gelée grise »,<br />
formulée pour<br />
la première fois<br />
par Eric Drexler<br />
en 1986, dans son<br />
texte fondateur des<br />
nanotechnologies<br />
Engines of<br />
Creation, évoque<br />
des nanorobots<br />
s’autorépliquant.<br />
* L’appel de<br />
Heidelberg,<br />
signé par plus<br />
de 50 prix Nobel,<br />
demandait que<br />
le contrôle et<br />
la préservation<br />
des ressources<br />
naturelles<br />
« soient fondés<br />
sur des critères<br />
scientifiques<br />
et non sur<br />
des préjugés<br />
irrationnels ».<br />
LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 97