La Recherche - Veolia Environnement
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MODÉLISATION DÉCHETS<br />
Une ressource pleine<br />
d’avenir<br />
Philippe<br />
Chalmin<br />
est professeur<br />
à l’université<br />
Dauphine, à Paris,<br />
et président<br />
de Cyclope.<br />
Philippe.CHALMIN<br />
@dauphine.fr<br />
De rebuts à matières premières « secondaires », les déchets deviennent<br />
un enjeu économique, voire géopolitique.<br />
Longtemps, les hommes ont eu le sens<br />
de la rareté. Dans les communautés<br />
traditionnelles, on jetait peu, on récupérait,<br />
on valorisait, on faisait, au fond, du développement<br />
durable. Les deux siècles de révolutions<br />
industrielles et urbaines ont relégué les déchets<br />
au statut peu enviable de produits malodorants, dangereux<br />
même, à éliminer, à cacher. Pendant toute<br />
cette période, les hommes ont exploité les ressources<br />
de la planète sans précaution aucune, tirant des<br />
quittances sur l’avenir sans penser à des lendemains<br />
de pénurie. Jusqu’aux premiers avertissements de la<br />
crise de 1974 – qui suivait le célèbre<br />
rapport « Halte à la croissance » (1) :<br />
ils ne furent guère entendus dans<br />
l’euphorie de la nouvelle économie<br />
de la fin du xxe siècle et de l’effondrement<br />
des prix mondiaux.<br />
<strong>La</strong> forte croissance du début du<br />
xxie siècle, la montée en puissance<br />
des pays émergents et, notamment,<br />
de la Chine ont radicalement changé la donne. Le<br />
monde a pris conscience de la rareté de nombre de<br />
ressources naturelles, de l’énergie à l’agriculture,<br />
en même temps que des limites de notre environnement<br />
aux prises avec des évolutions climatiques<br />
majeures.<br />
Au moment où flambent les marchés du pétrole, du<br />
blé, du cuivre, du nickel et même du plomb, les prix<br />
des matières premières « secondaires », des ferrailles<br />
aux vieux papiers, s’enflamment, et une véritable<br />
50 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />
Le monde produit<br />
4 milliards<br />
de tonnes de<br />
déchets par an<br />
« économie du déchet » se met en place. Cette prise<br />
de conscience s’est accompagnée de la redécouverte<br />
du gisement qu’ils représentent. Un gisement d’autant<br />
plus attirant qu’il est surtout concentré dans les pays<br />
développés, consommateurs de biens et, donc, producteurs<br />
de déchets.<br />
Chaque jour, le monde produit un peu plus de 10 millions<br />
de tonnes de déchets, soit à peu près 4 milliards<br />
de tonnes par an (total des déchets ménagers et industriels),<br />
quand la production mondiale annuelle de<br />
céréales est de 2 milliards de tonnes et celle d’acier<br />
de 1 milliard de tonnes.<br />
Les seuls déchets ménagers (ou muni-<br />
cipaux) pèsent 1,2 milliard de tonnes<br />
par an, la moitié en provenance des<br />
pays de l’Organisation de coopération<br />
et de développement économiques<br />
(OCDE) : États-Unis et Europe pèsent<br />
chacun un peu plus de 200 millions de<br />
tonnes, la Chine déjà 180 millions de<br />
tonnes. <strong>La</strong> quantité et la composition<br />
de ces déchets ménagers sont très variables suivant<br />
les niveaux de développement. Ainsi, dans les pays<br />
pauvres, la production per capita est de l’ordre de<br />
150 kilogrammes (kg) à 250 kg, comme à Mumbai,<br />
en Inde, ou Nairobi, au Kenya, mais aussi dans des<br />
villes du Brésil ou de l’Argentine. Ce sont des déchets<br />
« pauvres », composés entre 50 % et 80 % de matières<br />
fermentescibles. À l’inverse, dans les pays de l’OCDE<br />
et dans certains pays émergents, comme la Chine,<br />
les 500 kg à 700 kg de déchets produits per capita<br />
sont « riches » de matières à récupérer. Cette corrélation<br />
entre quantité de déchets ménagers et niveau<br />
de richesse s’estompe, en particulier dans les pays<br />
développés. Ce n’est pas le cas des pays en développement<br />
qui ont à gérer la croissance exponentielle<br />
de leurs mégapoles.<br />
Sur les 4 milliards de tonnes de déchets mondiaux<br />
produits annuellement, nous estimons, aujourd’hui,<br />
que seulement 1 milliard de tonnes est valorisé.<br />
Comment ? Sous forme d’énergie, de production de<br />
biogaz (lire « Des déchets aux gaz naturel » p. 58),<br />
de matière première secondaire ou de biomasse. Le<br />
potentiel reste donc considérable. Le gisement dans<br />
les pays développés, en particulier en Europe, est<br />
encore loin de son exploitation optimale. Dans les<br />
pays en développement, on est encore au temps des<br />
décharges sauvages.<br />
Le Sud puise au Nord<br />
Pour les pays développés, qui importent en général des<br />
matières premières, pour la production de biens de<br />
consommation ou d’énergie, il s’agit là de nouvelles<br />
ressources « minières » de première importance<br />
qui présentent de surcroît le mérite d’être renouvelables.<br />
Déjà, la moitié de notre consommation<br />
de papier ou de plomb et le tiers de celle d’acier<br />
provient du recyclage.<br />
<strong>La</strong> seule récupération destinée au recyclage porte<br />
sur 600 millions de tonnes, dont 400 millions de<br />
tonnes de ferrailles et 170 millions de tonnes de<br />
« vieux papiers ». Une bonne partie de ces tonnages<br />
est directement valorisée<br />
dans les pays de collecte. Mais,<br />
fait nouveau, on assiste depuis<br />
ces dernières années à une forte<br />
croissance des échanges internationaux<br />
de déchets : de 130 à<br />
150 millions de tonnes ont ainsi<br />
sillonné les mers en 2007. C’est<br />
même en train de devenir l’un des<br />
plus importants flux de matière,<br />
pour le transport maritime. Les<br />
pays riches exportent désormais<br />
une partie de leurs ferrailles et<br />
vieux papiers vers les pays émergents,<br />
un nouveau type d’échange<br />
Nord-Sud : le Nord devient un<br />
« gisement » que commencent<br />
à exploiter les pays du Sud. Dans<br />
certains cas, le contrôle de ces<br />
flux de déchets devient source<br />
de convoitise et une géopolitique<br />
des déchets est en train de naître,<br />
dont le nerf de la guerre est l’accès<br />
à ces nouvelles ressources. Certains pays, comme les<br />
États-Unis ou la Russie, vont même jusqu’à mettre<br />
en place des taxes à l’exportation.<br />
Quelle sera la production mondiale de déchets à<br />
l’horizon 2050 ? Impossible de l’estimer. À l’heure<br />
actuelle, il n’existe pas de projections fiables.<br />
Néanmoins, on peut évaluer la progression de<br />
déchets municipaux en tablant sur une moyenne<br />
urbaine mondiale qui tendrait vers 500 kg per capita,<br />
la quantité produite actuellement dans les pays développés.<br />
Cela conduirait à une production mondiale de<br />
déchets ménagers de l’ordre de 4 milliards de tonnes,<br />
plus du triple du niveau actuel. Autant dire un marché<br />
dont la progression est assurée à long terme.<br />
Quelle que soit à l’avenir l’évolution des prix sur les<br />
grands marchés mondiaux de matières premières et<br />
de commodités, les déchets représentent probablement<br />
le plus important gisement inexploité de la planète.<br />
Aux hommes de savoir en faire une ressource !<br />
● P. C.<br />
POUR EN SAVOIR PLUS<br />
Cyclope, principal institut européen de recherche<br />
sur les marchés de matières premières<br />
et de commodités : www.cercle-cyclope.com/<br />
Du rare à l’infini : panorama mondial des déchets<br />
2006, P. Chalmin et E. <strong>La</strong>coste, Cyclope et <strong>Veolia</strong> Propreté,<br />
Economica, 2007.<br />
Le Poivre et l’Or noir, l’extraordinaire épopée<br />
des matières premières, P. Chalmin, Bourin, 2007.<br />
MODÉLISATION DÉCHETS<br />
(1) D. Meadows<br />
et al., Halte<br />
à la croissance ?<br />
Rapports sur<br />
les limites de la<br />
croissance, Fayard,<br />
1972.<br />
COMME CES<br />
PLASTIQUES DESTINÉS<br />
À L’INCINÉRATION<br />
(NANTES), 75 % DES<br />
DÉCHETS MONDIAUX<br />
NE SONT PAS VALORISÉS.<br />
LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 51<br />
© PHOTOTHÈQUE VEOLIA-JEAN PHILIPPE MESGUEN