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La Recherche - Veolia Environnement

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FACTEUR HUMAIN ENTRETIEN FACTEUR HUMAIN ENTRETIEN<br />

« Mieux utiliser l’eau »<br />

Soucieux des conditions d’accès à l’eau potable et à l’assainissement<br />

pour le plus grand nombre, Peter Gleick milite pour une nouvelle gestion<br />

de l’eau : la « voie douce ».<br />

LA RECHERCHE. Qu’entendez-vous par gestion<br />

« douce » de l’eau (Soft Path, selon la terminologie<br />

anglaise) ?<br />

PETER GLEICK. C’est une approche globale de la gestion<br />

de l’eau, une approche intégrée centrée sur les<br />

besoins de l’utilisateur et non sur la recherche perpétuelle<br />

de productivité, de ressources accrues (1,2).<br />

Elle est inspirée de la « voie douce pour l’énergie »<br />

imaginée dès 1976 par Amory Lovins, physicien américain<br />

précurseur de la notion d’efficacité énergétique<br />

et des solutions décentralisées. L’eau douce étant un<br />

bien précieux et rare, il s’agit de chercher à l’utiliser<br />

aussi efficacement que possible : améliorer sa « productivité<br />

», c’est-à-dire mieux l’utiliser. Après une<br />

vingtaine d’années de recherche au Pacific Institute,<br />

je constate que malgré le développement technologique<br />

croissant, la révolution informatique, etc., de<br />

2 millions à 5 millions de personnes continuent de<br />

mourir chaque année de maladies hydriques, dues à<br />

l’eau insalubre et des centaines de millions d’autres<br />

en souffrent. En dépit des efforts et des investissements<br />

massifs, en ce début du xxi e siècle, la planète<br />

compte près de 2,4 milliards d’humains sans le moindre<br />

système d’assainissement basique, comme il en<br />

existait pour la plupart des citoyens de la Rome antique.<br />

Et plus de 1 milliard d’habitants n’ont pas accès<br />

à l’eau potable. Si rien n’est fait, on pense qu’entre<br />

52 millions et 118 millions de personnes, surtout des<br />

enfants, pourraient en mourir d’ici à 2020.<br />

Pourtant des quantités d’infrastructures ont été<br />

construites ?<br />

P. G. Oui, le xx e siècle a été celui de la construction<br />

d’infrastructures de masse : barrages, aqueducs,<br />

réseaux de canalisations, installations sophistiquées<br />

de traitement de l’eau potable et des eaux usées... au<br />

bénéfice de milliards de personnes. Cela a contribué<br />

à réduire les maladies hydriques, les risques d’inondation<br />

et de sécheresse ; à développer la production<br />

énergétique (centrales hydrauliques) et agricole (irrigation<br />

des cultures). Mais, en même temps, cela a<br />

généré des coûts sociaux, économiques et environnementaux<br />

imprévus. Des dizaines de millions de<br />

personnes ont dû être déplacées comme en Chine,<br />

où près de 1 million de villageois ont dû abandonner<br />

leur maison, inondée par les réservoirs du barrage des<br />

Trois-Gorges. Aux États-Unis, 27 % de la faune des<br />

eaux douces est menacée d’extinction. Ce n’est que<br />

le reflet de ce qui se passe dans le reste du monde.<br />

Le débit moyen annuel de nombreux fleuves ne<br />

suffit plus à alimenter les deltas, du Nil en Égypte,<br />

du Colorado aux États-Unis et au Mexique... ce qui<br />

épuise les ressources nutritives, affectant la faune.<br />

Avec les conséquences qui en découlent pour les<br />

populations locales.<br />

Quelle transition préconisez-vous ?<br />

P. G. D’abord cesser la course à l’infrastructure, ce<br />

que j’appelle le « Hard Path ». Il ne faut pas systématiser<br />

les installations d’envergure, et on ne doit<br />

plus raisonner sur une croissance exponentielle de<br />

la demande : aux États-Unis, entre 1975 et 1995, la<br />

demande par habitant a diminué de 20 %, une tendance<br />

générale, même dans certains pays émergents.<br />

<strong>La</strong> consommation d’eau n’est plus fonction de la<br />

seule croissance économique et démographique.<br />

C’est avant tout une question d’efficacité d’usage<br />

de l’eau, à l’image de l’efficacité énergétique : dans<br />

les années 1930 et 1940, il fallait de 200 tonnes<br />

d’eau à 300 tonnes pour produire une tonne d’acier,<br />

aujourd’hui de 3 tonnes à 4 tonnes suffisent.<br />

De même, la production agricole<br />

par unité d’eau de nombreuses<br />

céréales peut être doublée en faisant<br />

appel à des procédés d’irrigation efficaces<br />

comme le goutte-à-goutte. Mais<br />

ces procédés ne concernent que 1 %<br />

des cultures irriguées pour l’instant. <strong>La</strong><br />

« productivité » de l’eau consiste aussi<br />

à réduire les gaspillages comme on le<br />

fait désormais pour les sanitaires : la<br />

consommation à l’intérieur des habitations<br />

a diminué de 75 % aux États-<br />

Unis simplement depuis qu’on utilise<br />

les chasses d’eau à bas débit.<br />

Concrètement, comment faire ?<br />

P. G. Cette gestion douce de l’eau doit<br />

venir en complément des approches traditionnelles.<br />

Elle doit privilégier le développement<br />

de systèmes économiques,<br />

décentralisés, à l’échelle des besoins<br />

d’une communauté ou d’une région :<br />

ces systèmes doivent être dimensionnés<br />

comme tels. Il s’agit de passer d’une pure<br />

logique d’infrastructure à une logique<br />

centrée sur les usages et le service, en veillant à adapter<br />

la qualité de l’eau selon les besoins. L’idée suit son<br />

chemin, mais il reste beaucoup à faire : il faut développer<br />

des systèmes d’analyse de données, de nouveaux<br />

outils de gestion, des technologies efficaces et<br />

respectueuses de l’environnement, des réglementations<br />

et des standards, une nouvelle régulation du marché<br />

de l’eau... Ce sera long. C’est déjà en route avec, par<br />

exemple, les systèmes de récupération des eaux de<br />

pluie, des eaux de ruissellement, les solutions d’infiltration...<br />

des techniques parfois anciennes qui<br />

reviennent au goût du jour. Elles nécessitent néanmoins<br />

des développements technologiques pour améliorer<br />

traitements et suivi de la qualité.<br />

Est-ce une solution à l’échelle mondiale ?<br />

P. G. À terme, je le pense. Elle est même indispensable.<br />

Dans l’état actuel des choses, avec les approches<br />

traditionnelles, diminuer de moitié la proportion<br />

de la population sans accès à l’eau potable et à<br />

PETER GLEICK EST DIRECTEUR DU PACIFIC<br />

INSTITUTE D’OAKLAND, ÉTATS-UNIS.<br />

l’assainissement entre 2000<br />

et 2015, un des objectifs du<br />

Millénaire pour le développement des Nations unies,<br />

sera malheureusement hors de portée. Les engagements<br />

financiers et politiques ne suffiront pas. L’aide<br />

internationale n’est souvent pas adaptée aux besoins.<br />

Sans compter que la tâche est compliquée par des<br />

conflits internationaux sur le partage de la ressource,<br />

la dégradation de la qualité de l’eau, l’impact du<br />

changement climatique... Pour apporter une eau<br />

saine au plus grand nombre, dans des conditions<br />

écologiques, sociales et économiques satisfaisantes,<br />

il faut changer de paradigme.<br />

● Propos recueillis pas Sahra Cepia<br />

POUR EN SAVOIR PLUS<br />

The World’s Water 2002-2003, G. Wolff<br />

et P. H. Gleick (dir.), Island Press, Washington, 2002.<br />

Pacific Institute d’Oakland : www.pacinst.org/<br />

(en anglais) et aussi sur : www.worldwater.org/<br />

(en anglais).<br />

(1) P. H. Gleick,<br />

Science, 302, 1524,<br />

2003.<br />

(2) P. H. Gleick,<br />

Nature, 418, 373,<br />

2002.<br />

88 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 89<br />

© DAVID HAWXHURST-WWICS.

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