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La Recherche - Veolia Environnement

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TECHNOLOGIE GÉOINGÉNIERIE TECHNOLOGIE GÉOINGÉNIERIE<br />

FAIRE LA PLUIE<br />

ET LE BEAU TEMPS :<br />

LE RÊVE DE CERTAINS<br />

QUI N’EST PAS<br />

ENCORE POUR DEMAIN.<br />

Un climat sur mesure ?<br />

Dominique<br />

Chouchan<br />

est journaliste<br />

scientifique.<br />

Peut-on imaginer réguler un jour le climat comme on règle son chauffage<br />

domestique, voire obtenir pluie ou sécheresse à la demande ? Le<br />

remède pourrait être pire que le mal.<br />

d’influer sur le climat ne date pas<br />

d’aujourd’hui, tant les activités humaines<br />

dépendent des caprices du temps. Fut<br />

une époque lointaine où les hommes<br />

L’idée<br />

sollicitaient l’entremise des dieux en cas<br />

de sécheresses ou de pluies dévastratrices… De<br />

nos jours, c’est à une panoplie d’artifices technologiques,<br />

désormais regroupés sous le vocable de<br />

géoingénierie* , que l’on s’en remet pour essayer de<br />

« réparer » les dérèglements climatiques.<br />

Si le rêve d’agir sur le temps a été remis au goût<br />

du jour il y a une soixantaine d’années, on le<br />

doit peut-être plus à l’intérêt qu’y portaient les<br />

militaires qu’aux climatologues. Le concept de<br />

guerre environnementale au sens moderne du terme<br />

(Environmental Warfare) a en effet commencé à<br />

prendre forme à la fin des années 1940 alors qu’était<br />

mené Cirrus, le premier projet d’envergure d’ensemencement<br />

de nuages. C’est grâce au soutien de<br />

l’armée américaine que des scientifiques de l’équipe<br />

62 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />

de Irving <strong>La</strong>ngmuir, alors directeur associé du laboratoire<br />

de recherche de General Electric (GE), purent<br />

expérimenter cette technique. L’ensemencement<br />

consistait à injecter de minuscules cristaux de glace<br />

sèche dans les nuages ce qui, par le biais d’un mécanisme<br />

physicochimique, devait conduire à des précipitations.<br />

En 1947, les ingénieurs de GE tentèrent<br />

par la même technique de détourner la route d’un<br />

ouragan aux États-Unis. Irving <strong>La</strong>ngmuir conclut à<br />

la parfaite réussite de l’opération. Les études ultérieures<br />

conduisirent à récuser cette appréciation :<br />

la trajectoire de l’ouragan avait déjà changé lors de<br />

l’ensemencement.<br />

Près d’une vingtaine d’années plus tard était lancée<br />

l’opération Popeye, destinée à prolonger artificiellement<br />

la période des moussons en Asie du Sud-Est.<br />

Objectif : bloquer la progression des troupes vietnamiennes.<br />

L’ensemencement se fit alors au moyen de<br />

particules d’iodure d’argent. L’efficacité prétendue de<br />

l’opération a toujours été contestée. « Les tentatives<br />

© VEOLIA-RICHARD MAS<br />

se sont pourtant poursuivies (en Inde, au Pakistan,<br />

aux Philippines, à Panama...), avec le soutien direct<br />

de l’armée et de la Maison-Blanche », précise James<br />

R. Fleming, professeur de science, technologie et<br />

société au Colby College (États-Unis).<br />

Aujourd’hui, que sait-on vraiment sur la possibilité<br />

de provoquer artificiellement des précipitations ? « <strong>La</strong><br />

complexité du comportement des nuages incite à la plus<br />

grande prudence », souligne Jean-Pierre Chalon, responsable<br />

de la coordination du Réseau des services<br />

météorologiques européens et expert, notamment sur<br />

la modification artificielle du temps, auprès de l’Organisation<br />

météorologique mondiale (OMM). « On<br />

ne sait même pas expliquer pourquoi, sur deux nuages<br />

d’apparence identique, l’un donne de la pluie et l’autre<br />

pas. » Comment alors évaluer l’effet d’un ensemencement<br />

? Les seuls outils disponibles sont des méthodes<br />

statistiques, qui exigent des expériences longues et<br />

très coûteuses. « Vu de l’OMM, les hypothèses sur<br />

le comportement des nuages demeurent nettement<br />

insuffisantes. L’heure est plus à l’approfondissement<br />

des connaissances qu’au stade opérationnel. »<br />

Après le climat, l’effet de serre<br />

À défaut d’intervenir sur les précipitations, du moins<br />

dans l’immédiat, plusieurs pistes visent à s’en prendre<br />

directement à l’une des causes présumées des changements<br />

climatiques : l’augmentation du taux de<br />

dioxyde de carbone (CO ) dans l’atmosphère. <strong>La</strong> piste<br />

2<br />

la plus étayée, désormais envisagée à l’échelle industrielle,<br />

consiste à le séquestrer dans des réservoirs géologiques<br />

(lire « Objectif : zéro émission », p. 60). Une<br />

autre s’appuie sur les écosystèmes marins. Le fer étant<br />

l’un des éléments indispensables au métabolisme<br />

du phytoplancton, des géoingénieurs imaginent de<br />

« fertiliser » l’océan en y injectant du fer. <strong>La</strong> multiplication<br />

artificielle de ces micro-algues permettrait<br />

d’augmenter la part de CO atmosphé-<br />

2<br />

rique absorbé par l’océan (sous l’effet<br />

du processus de photosynthèse).<br />

LES PRÉLÈVEMENTS<br />

DE LA MISSION KEOPS<br />

DANS L’OCÉAN AUSTRAL<br />

INDIQUERONT<br />

PEUT-ÊTRE QUELLE EST<br />

L’INFLUENCE DU FER<br />

SUR LE PHYTOPLANCTON.<br />

© CNRS/MISSION KEOPS<br />

« Rien ne permet d’affirmer que cette approche<br />

fonctionne de manière durable, et trop d’incertitudes<br />

subsistent sur ses effets secondaires », souligne<br />

toutefois Stéphane Blain, professeur d’océanographie<br />

chimique à l’université de la Méditerrannée.<br />

« D’autant, ajoute-t-il, que toute intervention dans<br />

une région de l’océan risque de se répercuter ailleurs,<br />

du fait de la circulation océanique. » Exemple : si<br />

on fertilise l’océan Austral, la croissance du phyto-<br />

plancton pourrait se traduire par une surconsommation<br />

de sels nutritifs habituellement véhiculés par les<br />

courants et, du coup, en priver d’autres écosystèmes.<br />

Cette voie suppose donc, elle aussi, une meilleure<br />

compréhension des phénomènes. « L’épandage<br />

artificiel de fer dans l’océan ne peut en aucun cas<br />

être assimilé au processus de fertilisation naturelle »,<br />

insiste Stéphane Blain.<br />

Mais surtout, elle soulève la question cruciale de l’impact<br />

global d’une action régionale. D’où les craintes<br />

que suscitent les idées spectaculaires d’un Lowell<br />

Wood, physicien américain, d’un Paul Crutzen,<br />

chimiste néerlandais, et de quelques autres. Le premier,<br />

qui eut pour maître Edward Teller (père de la<br />

bombe H et du programme anti-missile de Reagan),<br />

et le second, prix Nobel en 1995, proposent de s’inspirer<br />

des éruptions volcaniques : celle du Pinatubo,<br />

aux Philippines, en 1991, n’a-t-elle pas refroidi<br />

notre planète pendant trois ans, suite à la production<br />

de millions de tonnes d’aérosols réfléchissant<br />

le rayonnement solaire vers l’espace ? Pourquoi ne<br />

pas simuler artificiellement ce phénomène en injectant<br />

d’énormes quantités de tels aérosols dans l’atmosphère<br />

? D’autres, comme l’astrophysicien américain<br />

Roger Angel, suggèrent de placer une myriade<br />

de petits miroirs en orbite autour de la Terre pour<br />

dévier une fraction du rayonnement solaire…<br />

L’écho qui sera donné à ces propositions dépendra de<br />

facteurs politiques (accords internationaux),<br />

économiques (marché mondial du carbone)<br />

et législatifs : la convention Enmod<br />

des Nations unies interdit d’utiliser des<br />

techniques de modification de l’environnement<br />

à des fins militaires ou toute autre<br />

fin hostile. « Elle devrait être actualisée et<br />

inclure les techniques de géoingénierie mises<br />

en œuvre unilatéralement par une nation lorsque cellesci<br />

sont susceptibles de nuire à une autre », estime James<br />

R. Fleming (1). ● D. C.<br />

POUR EN SAVOIR PLUS<br />

Workshop Report on Managing Solar Radiation<br />

(18-19 novembre 2006) : http://amesevents.arc.nasa.<br />

gov/main/index.php?fuseaction=home.reports (en anglais).<br />

(1) J. R. Fleming,<br />

The Climate<br />

Engineers,<br />

The Wilson Quaterly,<br />

2007 et sur :<br />

www.wilsoncenter.<br />

org/index.<br />

cfm?fuseaction=wq.<br />

essay&essay_<br />

id=231274<br />

(en anglais).<br />

* <strong>La</strong> géoingénierie<br />

désigne<br />

les techniques<br />

susceptibles<br />

de contrôler<br />

les grands cycles<br />

naturels.<br />

Par extension,<br />

ce terme est aussi<br />

employé au sujet<br />

des techniques<br />

capables<br />

de contrecarrer<br />

les influences<br />

anthropiques<br />

sur le climat.<br />

LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 63

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