La Recherche - Veolia Environnement
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TECHNOLOGIE NUCLÉAIRE<br />
L’heure de la relance<br />
atomique<br />
Camille<br />
Saïsset<br />
est journaliste<br />
scientifique.<br />
* Le<br />
démantèlement<br />
désigne<br />
les opérations<br />
depuis l’arrêt du<br />
réacteur jusqu’à<br />
la destruction de<br />
tous les bâtiments<br />
et l’évacuation<br />
des déchets<br />
radioactifs.<br />
Une nouvelle génération de réacteurs est à l’étude. Seront-ils devancés<br />
par des solutions moins innovantes, développées à grande échelle ?<br />
à 2050, les quelque 440 réacteurs<br />
nucléaires actuels, entrés en exploitation<br />
à travers le monde entre 1970 et<br />
1995, seront arrêtés. Ils devront être<br />
D’ici<br />
démantelés, comme le sont actuellement<br />
leurs aînés, « première génération » de réacteurs<br />
civils. Un démantèlement* long et coûteux<br />
(celui de la centrale de Brennilis, dans le Finistère,<br />
commencé en 1985 et estimé à 482 millions d’euros,<br />
est interrompu depuis juin 2007 en raison d’un problème<br />
de stockage de déchets).<br />
Quoiqu’il en soit, le nucléaire conserve bien des<br />
atouts : même si, avec les réacteurs actuels, les<br />
réserves en uranium naturel ne sont estimées qu’entre<br />
cinquante et deux cents ans de consommation<br />
(lire « 2050, rendez-vous énergétique », p. 31), le<br />
coût de l’électricité nucléaire reste stable, quand<br />
celui de l’électricité issue des ressources fossiles<br />
s’envole. Qui plus est, cette production d’électricité<br />
ne s’accompagne d’aucune émission de dioxyde de<br />
carbone (CO ), ce qui l’extrait de la pression écono-<br />
2<br />
mique que subissent ses concurrents fossiles ; une<br />
assertion néanmoins contestable au regard de l’ensemble<br />
du cycle du combustible, depuis l’extraction<br />
du minerai jusqu’au combustible « épuisé » sorti<br />
des réacteurs.<br />
Limiter la quantité de déchets radioactifs reste<br />
cependant un défi majeur de l’industrie nucléaire.<br />
De fait, même si un consensus international soutient<br />
l’idée de stocker les plus dangereux dans le<br />
sous-sol, après les avoir laissé refroidir, aucune solution<br />
à long terme n’est encore arrêtée. C’est un des<br />
arguments qui milite pour le développement d’une<br />
56 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />
nouvelle génération de réacteurs, dits « de quatrième<br />
génération » (la seconde étant la génération actuelle,<br />
la troisième, celle de l’European Pressurized Reactor,<br />
EPR). Autour de ces nouveaux réacteurs espérés<br />
pour 2040, un réseau international de recherche (le<br />
Forum international Génération IV) s’est constitué<br />
en 2000. Rassemblant une dizaine de pays et l’Union<br />
européenne, il mène des recherches sur six filières<br />
innovantes. <strong>La</strong> France travaille sur deux d’entre<br />
elles : des surgénérateurs, autrement dit des réacteurs<br />
où la quantité de matière fissile produite est supérieure<br />
à la quantité consommée. À la clé : une valorisation<br />
des ressources multipliée par un facteur 50,<br />
une amélioration de la sûreté et une réduction des<br />
quantités de déchets.<br />
<strong>La</strong> technologie des surgénérateurs, expérimentée<br />
dans le monde depuis le début des années 1960,<br />
est complexe : c’était celle du prototype industriel<br />
Super-Phénix de Creys-Malville, dans l’Isère, arrêté<br />
en 1998 après bien des déboires et un manque de<br />
sûreté dû, notamment, à l’utilisation du sodium<br />
comme caloporteur – le fluide chargé de transporter<br />
la chaleur – qui risquait de s’enflammer<br />
spontanément au contact de l’air et d’exploser à<br />
celui de l’eau. Les chercheurs français continuent<br />
néanmoins d’explorer cette voie ainsi que celle<br />
d’un surgénérateur à gaz, où le caloporteur serait<br />
un gaz inerte, qui ne participe à aucune réaction<br />
chimique, comme l’hélium. Le défi est de taille :<br />
combustibles et matériaux doivent être capables de<br />
résister à de très grandes sollicitations (aux neutrons<br />
rapides, à des températures de l’ordre de 1 000° C).<br />
En contrepartie, la chaleur générée pourrait être<br />
valorisée à des fins industrielles<br />
autres que nucléaire (chauffage<br />
urbain, dessalement…).<br />
Que sera le paysage nucléaire de<br />
2050 ? En France, le débat est vif<br />
entre les défenseurs de ces recherches<br />
prometteuses et les militants<br />
de l’EPR, version améliorée de<br />
nos réacteurs actuels notamment<br />
en terme de sûreté (avec une<br />
double enceinte en béton et un<br />
récupérateur de corium* sous le<br />
réacteur). Le premier EPR français<br />
sera construit à Flamanville,<br />
dans la Manche. Mise en service<br />
prévue en 2012. Ce projet, qui<br />
pour beaucoup ne va pas dans<br />
le sens du progrès, constituerat-il<br />
la tête de pont d’une nouvelle<br />
série de réacteurs sur le sol<br />
français ? Au-delà de l’EPR, une<br />
vaste réorganisation mondiale<br />
semble bel et bien à l’œuvre autour d’une nouvelle<br />
initiative américaine : un Global Nuclear Energy<br />
Partnership (Gnep), « partenariat global pour l’énergie<br />
nucléaire ».<br />
Promotion du nucléaire civil<br />
Le Gnep vise une expansion mondiale du nucléaire<br />
civil, en particulier vers les pays en développement :<br />
réacteurs et combustible leur seraient fournis, et le<br />
combustible « épuisé » repris pour retraitement,<br />
pour en extraire les éléments potentiellement réutilisables<br />
(plutonium, uranium…). Le Gnep a<br />
été lancé en février 2006, initialement par cinq<br />
pays détenteurs de la maîtrise de l’ensemble du<br />
cycle, jusqu’au retraitement : France, Chine, Japon,<br />
Russie et États-Unis. Le Gnep compte onze nouveaux<br />
membres depuis septembre 2007 : l’Australie,<br />
la Bulgarie, le Ghana, la Hongrie, la Jordanie,<br />
le Kazakhstan, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie,<br />
la Slovénie et l’Ukraine. Pourtant, depuis trente ans,<br />
les États-Unis avaient abandonné le retraitement,<br />
pour éviter la séparation du plutonium et les risques<br />
de prolifération militaire. Aujourd’hui, dans le cadre<br />
du Gnep, ils soutiennent cette voie arguant justement<br />
d’une maîtrise assurée du combustible.<br />
Que penser d’un tel revirement ? Est-ce la signature<br />
d’une relance d’envergure du nucléaire, en marge<br />
des préoccupations technologiques des dernières<br />
années ? Le Gnep rappelle le programme Atoms for<br />
Peace (« L’atome pour la paix ») lancé par le président<br />
américain Eisenhower en 1953, qui engagea<br />
le développement de l’industrie nucléaire dans le<br />
TECHNOLOGIE NUCLÉAIRE<br />
monde avec, comme garde-fou, l’Agence internationale<br />
de l’énergie atomique chargée de contrôler<br />
l’usage pacifique des matières nucléaires en vertu du<br />
Traité de non-prolifération (TNP). Celui du Gnep<br />
serait donc l’assurance du retraitement, un pis-aller<br />
face aux difficultés d’application du TNP.<br />
Quelle que soit la stratégie en jeu, le problème des<br />
déchets reste entier. Assurer l’immobilité des radionucléides<br />
et la stabilité d’un stockage géologique<br />
pendant des milliers d’années n’est pas une mince<br />
affaire pour les scientifiques. En France, l’entrée en<br />
exploitation, en 2025, du site de Bure, dans le sud de<br />
la Meuse, est fixée par la loi de juin 2006, si le bilan<br />
des recherches en 2012 le permet. D’ici à 2012, aux<br />
États-Unis, le site Yucca Mountain, dans le Nevada,<br />
devrait recevoir quelque 77 000 tonnes de déchets.<br />
Mais l’évocation récente de la présence sous-jacente<br />
de la faille géologique Bow Ridge met à nouveau à<br />
mal le projet sur le plan politique. ● C. S.<br />
POUR EN SAVOIR PLUS<br />
Sur les réacteurs de Génération IV :<br />
www.gen-4.org/ (en anglais).<br />
Systèmes nucléaires du futur Génération IV,<br />
Clefs du CEA, 55, été 2007.<br />
Programme Gnep : www.gnep.energy.gov/<br />
(en anglais).<br />
Global Nuclear Energy Partnership Strategic<br />
Plan, GNEP-167312, Rev. 0, U.S. Department of Energy,<br />
Office of Nuclear Energy, Office of Fuel Cycle Management,<br />
janvier 2007.<br />
TOUJOURS AUCUNE<br />
SOLUTION POUR LE<br />
STOCKAGE DES DÉCHETS<br />
NUCLÉAIRES, QUI<br />
TRANSITENT D’UN PAYS<br />
À L’AUTRE POUR ÊTRE<br />
RETRAITÉS.<br />
* Le corium est<br />
le mélange<br />
de combustible<br />
et de matériaux<br />
formé lors d’une<br />
hypothétique<br />
fusion du cœur.<br />
LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 57<br />
© MARCHI ALEXANDRE/GAMMA/EYEDEA