La Recherche - Veolia Environnement
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FACTEUR HUMAIN DÉVELOPPEMENT DURABLE FACTEUR HUMAIN DÉVELOPPEMENT DURABLE<br />
Une source de discorde<br />
Yvette Veyret<br />
est professeur<br />
au département<br />
de géographie<br />
de l’université<br />
Paris-X-Nanterre.<br />
yvette.veyretmekdjian<br />
@u-paris10.fr<br />
Le concept de développement durable est ancien. Consacré à l’échelle internationale<br />
en 1987, il est de tous les discours, mais il reste très controversé.<br />
On le présente comme une nouvelle « formule<br />
» pour gérer le monde, rien de moins.<br />
Le développement durable « répond aux<br />
besoins du présent sans compromettre la<br />
capacité des générations futures à répondre<br />
aux leurs » (1). Cette ambition gigantesque, qui lie<br />
entre elles les questions environnementales, économiques,<br />
sociales et même culturelles, semble, après<br />
une longue maturation, faire l’objet d’un consensus.<br />
Le développement durable commence à s’imposer<br />
dans les esprits et à être appliqué. Et pourtant, il est<br />
loin de faire l’unanimité.<br />
Le concept de développement durable plonge<br />
ses racines au xviii e siècle. Dès l’époque des<br />
Lumières, les progrès de la science et de la technique<br />
déclenchent des inquiétudes. L’économiste britannique<br />
Thomas Malthus dénonce la croissance<br />
de la population bien plus importante que celle des<br />
ressources. Au xix e siècle, les interrogations sur les<br />
usages des ressources se multiplient, émanant de<br />
naturalistes (Karl Möbius, Henry Fairfield Osborne),<br />
de géographes (George Perkins Marsh, Friedrich<br />
Ratzel), de philosophes, tous sensibilisés à la fragilité<br />
de la planète et au caractère fini des ressources.<br />
À la fin du xix e siècle, tous les éléments du débat actuel<br />
sont en place. L’homme est perçu comme destructeur,<br />
pilleur des ressources. <strong>La</strong> dénonciation de la déforestation,<br />
de la destruction des sols, de la désertification,<br />
de la pollution, la prédiction de l’épuisement des ressources<br />
fondent un discours catastrophiste sur les rapports<br />
entre nature et société dont les bases scientifiques<br />
restent, cependant, à démontrer. Ce discours donne<br />
naissance à des mouvements écologistes, comme le<br />
Sierra Club, aux États-Unis (2), qui, à partir de 1892,<br />
prône la protection de la nature par l’instauration de<br />
parcs ou de réserves dont l’homme est exclu.<br />
Tout au long du xx e siècle, la confiance en la science<br />
s’estompe en même temps que le champ des risques<br />
s’élargit. Celui-ci acquiert, au moins dans les discours,<br />
une dimension planétaire et menace du coup l’humanité.<br />
Il est vrai que, pour la première fois de son<br />
histoire, l’homme a réalisé, avec la bombe atomique,<br />
les moyens de sa propre destruction. Certains risques<br />
sont d’autant plus menaçants que, mondialisés, ils<br />
dépassent la compétence des États.<br />
Les progrès scientifiques ne sont bientôt plus les<br />
seuls accusés. Le Club de Rome (3), un groupe de<br />
réflexion prospective qui réunit scientifiques, économistes,<br />
hommes d’affaires et hommes politiques,<br />
commande en 1968 un rapport sur l’état de la planète<br />
au Massachusetts Institute of Technology. Publié en<br />
1972, le rapport Meadows conclut notamment que<br />
« la croissance matérielle perpétuelle conduira tôt ou<br />
tard à un effondrement du monde qui nous entoure ».<br />
<strong>La</strong> croissance semble alors incompatible avec la durabilité<br />
de notre société. <strong>La</strong> société toute entière et ses<br />
choix politico-économiques sont interpelés.<br />
À chacun sa priorité<br />
C’est dans ce contexte noir qu’émerge une possible<br />
solution, à l’instigation des Nations unies. En 1972, à<br />
la conférence de Stockholm, les experts recomman-<br />
dent d’envisager des modes de croissance moins<br />
destructeurs du patrimoine naturel et des structures<br />
sociales. Ainsi voit le jour l’écodéveloppement :<br />
développement des populations par elles-mêmes,<br />
utilisant au mieux les ressources naturelles, s’adaptant<br />
à un environnement qu’elles transforment sans<br />
le détruire.<br />
À l’idée que l’on puisse conserver la nature en mettant<br />
hors de portée des aires naturelles (parcs et réserves)<br />
succède une vision plus dynamique de la biodiversité<br />
dans ses relations aux sociétés. Le rapport sur « la<br />
stratégie mondiale pour la conservation » publié en<br />
1980 par l’Union internationale pour la conservation<br />
de l’environnement, le Programme des Nations<br />
unies pour l’environnement et le WWF (organisation<br />
mondiale de protection de l’environnement), pose<br />
un nouveau précepte : la conservation de la nature a<br />
pour finalité la satisfaction des besoins des hommes et<br />
doit donc tenir compte des contraintes économiques<br />
et sociales. Le terme de développement durable,<br />
emprunté aux écologistes anglais, apparaît alors pour<br />
la première fois dans un document de portée internationale.<br />
Il sera consacré par le rapport Brundtland (1),<br />
destiné à préparer le sommet de Rio.<br />
Pourtant, tous les acteurs ne mettent pas la même<br />
chose sous ce vocable. Pour certaines ONG de<br />
protection de la nature, celle-ci doit être protégée<br />
pour elle-même. Pour d’autres organismes, comme<br />
la FAO (organisation des Nations unies pour l’alimentation<br />
et l’agriculture), il s’agit de gérer le plus<br />
rationnellement possible un patrimoine commun<br />
à l’humanité. Pour les pays du Nord, on insiste sur<br />
la durabilité et, au Sud, sur le développement des<br />
populations démunies.<br />
Mais, au-delà d’une divergence sur la définition, le<br />
concept reste lui aussi controversé. Les premiers<br />
exemples d’application ont souligné ses limites.<br />
Ainsi, la privatisation des services de l’eau (encouragée<br />
par la conférence de Dublin en 1992) aggrave<br />
parfois les inégalités d’accès à la ressource. De<br />
même, la certification du bois, prônée par les mouvements<br />
écologistes et des ONG comme WWF au<br />
nom de la protection des forêts et de la biodiversité,<br />
contribue à exclure des marchés certains pays<br />
forestiers du Sud pour lesquels le manque à gagner<br />
est parfois très pénalisant. Autre exemple, en France,<br />
la création des parcs naturels régionaux amène, dans<br />
bien des cas, à gérer au mieux ces espaces, mais ne<br />
fait que déplacer à leur périphérie les installations<br />
jugées indésirables. Dans les villes, les politiques<br />
environnementales concernent plus fréquemment<br />
les quartiers favorisés. Ailleurs, le déplacement<br />
autoritaire de groupes humains hors des parcs et<br />
réserves prive les populations « déguerpies » de<br />
leur cadre de vie, de certaines ressources et parfois<br />
de lieux sacrés.<br />
<strong>La</strong> question reste donc posée : peut-on réellement<br />
associer développement et durabilité ? Si oui, les<br />
nouvelles règles doivent-elles venir d’en haut, des<br />
Nations unies ou des gouvernements, ou d’en bas,<br />
des citoyens ? ● Y. V.<br />
POUR EN SAVOIR PLUS<br />
Développement durable, Y. Veyret (dir.), Colin, 2007.<br />
Le Développement durable, S. Brunel, PUF,<br />
« Que sais-je ? », 2007.<br />
Le Développement durable ?<br />
Doctrines, pratiques, évaluations, J.-Y. Martin (dir.),<br />
IRD éditions, 2002.<br />
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(1) Rapport de<br />
la Commission<br />
mondiale sur<br />
l’environnement et<br />
le développement<br />
de l’ONU, présidée<br />
par Gro Harlem<br />
Brundtland, 1987,<br />
disponible sur :<br />
http://fr.wikisource.<br />
org/wiki/Rapport_<br />
Brundtland<br />
(2) www.sierraclub.<br />
org/(en anglais).<br />
(3) www.<br />
clubofrome.org/<br />
(en anglais).<br />
82 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 83<br />
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