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La Recherche - Veolia Environnement

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FACTEUR HUMAIN INDUSTRIE FACTEUR HUMAIN INDUSTRIE<br />

Pourquoi pas<br />

une écologie industrielle ?<br />

Anaïs Joseph<br />

est journaliste<br />

scientifique.<br />

* Un écosystème<br />

est un ensemble<br />

formé par une<br />

communauté<br />

d’organismes<br />

et l’environnement<br />

physico-chimique<br />

dans lequel<br />

ils vivent.<br />

Et si l’activité industrielle utilisait ses déchets comme ressources… Une<br />

idée séduisante qui peine à se déployer en France, mais pas en Chine.<br />

Au premier abord, l’idée paraît saugrenue<br />

: assimiler les activités humaines,<br />

en particulier industrielles, à un écosystème*<br />

! Elle a pourtant fait son chemin<br />

depuis que le concept a été défendu par<br />

deux cadres de General Motors (1) en 1989. Baptisé<br />

« écologie industrielle », son principal objectif est<br />

d’optimiser la consommation d’énergie et de matière<br />

tout en minimisant les rejets. En commençant par ne<br />

plus envisager les déchets comme des résidus, mais<br />

comme des ressources, une démarche qui prend<br />

tout son sens, quand le coût de la matière première<br />

ne cesse d’augmenter et les déchets de s’accumuler<br />

(lire « Une ressource pleine d’avenir », p. 50).<br />

À ce jour, la réalisation la plus achevée obéissant à<br />

ces principes est Kalundborg, petite ville industrielle<br />

danoise de 20 000 habitants. Ses partenaires locaux<br />

ont mis en place un ingénieux système d’échange de<br />

« déchets » : la raffinerie de pétrole fournit de l’eau<br />

usée pour refroidir la centrale électrique, laquelle<br />

vend de la vapeur à une société de biotechnologie et à<br />

la municipalité pour son réseau de chauffage. Quant<br />

au gypse, sous-produit d’une unité de désulfuration,<br />

il sert à la construction de panneaux en plâtre, évitant<br />

ainsi l’extraction de gypse naturel, etc.<br />

Ce pôle industriel où les acteurs sont en « symbiose<br />

» annonce un bilan économique enviable : les<br />

18 projets d’échanges de déchets, mis en place en<br />

vingt ans, auront coûté 75 millions de dollars, mais<br />

ils ont rapporté le double. Idem côté écologique :<br />

chaque année, Kalundborg économise près de 3 millions<br />

de mètres cubes (m3 ) d’eau et 200 000 tonnes<br />

90 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />

de gypse. « <strong>La</strong> grande force de ce réseau éco-industriel<br />

est de s’être détaché de la vision classique qui, le plus<br />

souvent, traite les sous-produits comme des déchets dont<br />

il faut se débarrasser. Leur valorisation est souhaitable,<br />

sans que ce soit une fin en soi : rien ne sert de traiter<br />

un déchet pour en produire un autre. Nos activités<br />

doivent rester compatibles avec la biosphère. Par<br />

exemple, transformer les déchets d’abattoirs en farines<br />

animales et les valoriser dans la nourriture destinée<br />

au bétail herbivore est une aberration du point de vue<br />

de l’écologie scientifique ! », explique Suren Erkman,<br />

professeur à l’université de <strong>La</strong>usanne, consultant en<br />

écologie industrielle.<br />

Recyclage et location<br />

Loin de se focaliser sur les réseaux éco-industriels,<br />

l’écologie industrielle englobe l’ensemble des activités<br />

humaines : consommation des ménages, services de<br />

santé, loisirs… Toute activité générant des flux de<br />

ressources est repensée. D’abord, en valorisant systématiquement<br />

les déchets en ressources, mais, aussi,<br />

en minimisant les pertes, en optimisant les produits<br />

et les processus de fabrication.<br />

Autre piste : « dématérialiser » l’économie, en favorisant<br />

la location plutôt que la propriété, à l’instar<br />

de Rank Xerox qui loue ses photocopieurs et se<br />

consacre au contrôle, à l’entretien et la réparation<br />

des machines. L’entreprise a tout intérêt à assurer la<br />

durabilité du produit. Une fois obsolète, l’appareil<br />

rejoint un centre de désassemblage et de refabrication.<br />

Les éléments recyclés forment, à eux seuls, 90 %<br />

du poids d’une machine louée. « Ce renversement<br />

de perspective ne remet pas en cause notre système<br />

capitaliste. C’est le seul moyen de préserver à la fois<br />

notre système économique et le fonctionnement normal<br />

des écosystèmes naturels », estime Nicolas Buclet,<br />

directeur du Centre de recherches et d’études interdisciplinaires<br />

sur le développement durable à l’université<br />

de Troyes. Avec cette démarche, dans le secteur<br />

des pneumatiques pour transports routiers, Michelin<br />

est parvenu à accroître son chiffre d’affaires tout en<br />

produisant moins de pneumatiques. Enfin, l’écologie<br />

industrielle préconise de passer progressivement à<br />

une consommation de ressources fossiles rejetant<br />

moins de gaz à effet de serre, en remplaçant, notamment,<br />

le charbon par du pétrole ou du gaz naturel<br />

et grâce aux énergies renouvelables.<br />

Des acteurs interdépendants<br />

Néanmoins, en 2007, ce beau concept peine toujours<br />

à se déployer. « En France, force est de constater<br />

que la plupart des projets rencontrent des difficultés à<br />

aller au-delà de la phase préliminaire », remarquent<br />

Sabrina Brullot-Dermine et Olivier Bergossi, de l’université<br />

de Troyes (2). Malgré l’émergence de projets<br />

aux États-Unis (Devens, Massachusetts), au Canada<br />

(Burnside, Halifax), au Japon (Ebara Corporation,<br />

Kokubo), aux Pays-Bas (le port de Rotterdam),<br />

Kalundborg reste LE parangon de l’écologie industrielle.<br />

Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, un tel<br />

système implique une interdépendance des acteurs.<br />

<strong>La</strong> cessation d’activité d’une entreprise peut mettre<br />

à mal le cycle de production des autres. Le contexte<br />

législatif et politique doit également être favorable.<br />

En France, par exemple, pour des raisons d’hygiène<br />

notamment, la réglementation limite l’usage des<br />

déchets, même une fois traités, dépollués et recyclés.<br />

Enfin, cela ne va pas sans des investissements financiers<br />

importants (infrastructures dédiées, mise en<br />

réseau des différents partenaires...).<br />

Des freins qui ne semblent toutefois pas jouer pour<br />

tout le monde… « Si la France se caractérise désormais<br />

par un conservatisme et une frilosité prononcés, la<br />

Chine fait, au contraire, preuve d’une ouverture sans<br />

précédent », analyse Suren Erkman (3). Le spécialiste<br />

prend en exemple la spontanéité avec laquelle s’est<br />

développé l’éco-parc de Guigang. Au cœur de ce<br />

site, un groupe sucrier utilise les déchets du raffinage<br />

pour la fabrication de papier, de ciment, d’engrais et<br />

d’alcool à des fins de production de biocarburants.<br />

Chaque année, environ 60 millions de tonnes d’eau<br />

sont économisées et plus de 600 m 3 de bois. Autre<br />

exemple, celui de Guiyang où s’achève la construction<br />

d’une éco-ville débutée en 2002. « Quel que soit<br />

l’avenir de ces projets, leur rapidité d’élaboration et de<br />

réalisation les démarque de ce qui se pratique ailleurs.<br />

© BENOIT DECOUT/REA<br />

Hors de Chine, il existe une cinquantaine d’éco-parcs,<br />

mais aucun ne s’approche de l’échelle à laquelle se<br />

déroulent les synergies de Kalundborg », conclut Suren<br />

Erkman. Si l’écologie industrielle connaît le même<br />

essor que les autres domaines économiques en Chine,<br />

un bel avenir lui est promis. ● A. J.<br />

POUR EN SAVOIR PLUS<br />

Vers une écologie industrielle, comment mettre<br />

en pratique le développement durable dans<br />

une société hyper-industrielle, S. Erkman, Charles<br />

Léopold Mayer, 2004.<br />

Applied Industrial Ecology, A New Platform for<br />

Planning Sustainable Societies, The First Book<br />

on Industrial Ecology in Developing Countries,<br />

S. Erkman, R. Ramaswany, Aicra Publishers, 2003.<br />

Le pôle français d’écologie industrielle :<br />

www.france-ecologieindustrielle.fr/<br />

Journal de l’écologie industrielle :<br />

www.mitpressjournals.org/loi/jiec (en anglais).<br />

LA PLUS GRANDE<br />

CENTRALE ÉLECTRIQUE<br />

DANOISE EST UN ACTEUR<br />

MAJEUR DU RÉSEAU<br />

ÉCO-INDUSTRIEL<br />

DE KALUNDBORG.<br />

(1) R. A. Frosch<br />

et N. E. Gallopoulos,<br />

Scientific American,<br />

261, 1989.<br />

(2) P. Matagne<br />

(dir.), Les Effets<br />

du développement<br />

durable,<br />

L’Harmattan, 2006.<br />

(3) S. Erkman<br />

et al., « L’économie<br />

circulaire en<br />

Chine », Futuribles,<br />

324, 2006.<br />

LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 91

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