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La Recherche - Veolia Environnement

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MODÉLISATION RÉFUGIÉS<br />

S’adapter à la montée<br />

des eaux<br />

Robert<br />

Nicholls<br />

est professeur<br />

à l’université<br />

de Southampton,<br />

au Royaume-Uni.<br />

r.j.nicholls<br />

@soton.ac.uk<br />

L’élévation du niveau de la mer devrait provoquer des déplacements de<br />

populations, dont l’ampleur reste controversée. Tout dépendra de nos<br />

capacités d’adaptation.<br />

Depuis les rapports du Groupe intergouvernemental<br />

d’experts sur le climat (GIEC)<br />

de 2001 et 2007, les changements climatiques<br />

sont perçus comme une menace<br />

majeure pour les zones côtières. Le danger<br />

vient principalement de l’élévation du niveau de la<br />

mer. Celle-ci a été de 17 centimètres (cm) au cours du<br />

siècle dernier et elle devrait empirer : le GIEC prévoit<br />

une fourchette de 19 cm à 58 cm pour le xxi e siècle.<br />

Et même en cas de stabilisation des émissions de gaz<br />

à effet de serre, cette montée des eaux se poursuivra<br />

pendant plusieurs siècles, entraînant la submersion<br />

de terres aujourd’hui émergées, l’érosion des côtes et<br />

un risque de contamination des réserves d’eau douce<br />

par l’eau de mer. Les régions côtières deviendront,<br />

en outre, plus vulnérables aux tempêtes et aux événements<br />

extrêmes comme les cyclones tropicaux, qui<br />

devraient s’intensifier – sans compter d’autres effets<br />

du réchauffement climatique, comme l’augmentation<br />

de la température des eaux de surface ou de l’acidité<br />

de l’océan (1). Mais on oublie parfois que de nombreux<br />

habitants vivent déjà sous le niveau de la mer :<br />

10 millions de Néerlandais, 4 millions de Japonais…<br />

Aujourd’hui, entre 250 millions et 300 millions de<br />

personnes habitent dans des zones à risque d’inondation<br />

liée aux ondes de tempête. Pour leur protection,<br />

la plupart dépendent d’ouvrages artificiels, comme les<br />

digues – les dégâts de l’ouragan Katrina dans le delta<br />

du Mississippi aux États-Unis sont venus rappeler ce<br />

qu’il advient quand ces digues cèdent.<br />

Les conséquences de la montée des eaux restent<br />

14 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />

en fait incertaines et controversées. Les pessimistes<br />

tendent à se focaliser sur les valeurs hautes des prévisions,<br />

ainsi que sur les événements extrêmes comme<br />

l’ouragan Katrina. Ils considèrent que notre capacité<br />

d’adaptation est assez limitée, avec, pour résultat, des<br />

conséquences alarmantes. Selon eux, les réfugiés<br />

écologiques* fuyant la montée des eaux pourraient<br />

ainsi se compter par dizaines de millions voire par<br />

centaines de millions (2) : 23 % de la population mondiale<br />

vit en effet à moins de 100 kilomètres des côtes<br />

et dans les 100 premiers mètres au-dessus du niveau<br />

de la mer, une proportion qui tend à s’accroître.<br />

Optimistes ou pessimistes ?<br />

Les optimistes se basent plutôt sur les prévisions<br />

basses, soulignent les exemples d’adaptation néerlandais<br />

et japonais, et s’interrogent sur les raisons<br />

d’une telle agitation. <strong>La</strong> protection des zones urbaines<br />

contre les inondations, couplée à une planification<br />

du développement urbain pour éviter l’occupation<br />

des zones les plus exposées, permettrait en effet de<br />

diminuer l’impact de la montée des eaux. Bien sûr,<br />

cette approche préventive coûte cher : les pays de<br />

l’Union européenne dépensent déjà quelque 3,2 milliards<br />

d’euros par an pour s’adapter à l’érosion et aux<br />

inondations.<br />

Mais l’inaction a, elle aussi, un prix. Ainsi, le modèle<br />

Fund (pour Climate Framework for Uncertainty,<br />

Negotiation and Distribution), développé à l’université<br />

de Hambourg, en Allemagne par Richard<br />

Tol, suggère que le montant des dégâts dépasse-<br />

© LAURENT WEYL/ARGOS<br />

À PANKAHALI<br />

(BANGLADESH), LA MER<br />

A ENVAHI RIZIÈRES ET<br />

NAPPES PHRÉATIQUES.<br />

LA POPULATION<br />

S’ADAPTE TANT BIEN<br />

QUE MAL.<br />

rait, dans la plupart des zones<br />

côtières, celui de la protection<br />

(3). Selon les simulations<br />

de Richard Tol, l’adaptation à<br />

la montée des eaux permettrait<br />

ainsi de limiter le nombre<br />

de personnes déplacées à 4 millions, soit environ 1 %<br />

des chiffres généralement avancés pour le xxi e siècle.<br />

Même si ce modèle est incomplet, il est conforté<br />

par d’autres analyses économiques et laisse penser<br />

que le problème des réfugiés écologiques pourrait<br />

être surestimé.<br />

Attention fragile !<br />

Néanmoins, certaines zones côtières sont plus<br />

vulnérables que d’autres, en raison de leur plus<br />

grande exposition ou de leurs moindres capacités<br />

d’adaptation : c’est le cas des îles et des deltas des fleuves.<br />

Les premières sont par nature très vulnérables<br />

aux menaces climatiques. L’histoire récente de la<br />

baie de Chesapeake aux États-Unis l’illustre bien :<br />

entre 1850 et 1920, une hausse relativement limitée<br />

du niveau de la mer (de 20 cm à 30 cm) a entraîné<br />

l’abandon des îles basses de la baie et la migration<br />

de 1 millier d’habitants vers le continent (4). Cet<br />

exemple valide un modèle de vulnérabilité des<br />

MODÉLISATION RÉFUGIÉS<br />

îles développé par Jon Barnett, de l’université de<br />

Melbourne, en Australie, et Neil Adger, de l’université<br />

d’East Anglia, au Royaume-Uni. Ce modèle souligne<br />

l’existence probable de seuils socio-écologiques<br />

clés déclenchant l’abandon des îles (5).<br />

Les petites îles du Pacifique, de l’océan Indien et des<br />

Caraïbes comptent ainsi parmi les régions où l’on s’attend<br />

à un nombre important de réfugiés écologiques.<br />

Les deltas des fleuves représentent, quant à eux, de<br />

vastes zones de plaines fertiles proches du niveau de<br />

la mer, qui s’enfoncent souvent d’elles-mêmes par<br />

subsidence* et concentrent des centaines de millions<br />

d’habitants (6). Selon les calculs actuels d’élévation du<br />

niveau de la mer, les grands deltas d’Asie et d’Afrique<br />

seraient les plus menacés (7). En 2050, la montée des<br />

eaux pourrait provoquer le déplacement de plus de<br />

1 million de personnes dans le delta du Gange et du<br />

Brahmapoutre au Bangladesh ainsi que dans ceux du<br />

Mékong au Vietnam et du Nil en Égypte.<br />

Le changement climatique exacerbera encore ces<br />

risques et impose de relever le défi posé par la protection<br />

de ces immenses zones inondables, en recherchant<br />

des stratégies innovantes. Seule une adaptation<br />

à long terme, intégrée à une gestion plus large des<br />

côtes, pourra permettre d’éloigner cette menace. Il est<br />

urgent de déployer des efforts en ce sens. ● R. N.<br />

(1) M.L. Parry et al.<br />

(dir.), R. J. Nicholls<br />

et al., dans Climate<br />

Change, 315,<br />

Impacts, Adaptation<br />

and Vulnerability,<br />

Cambridge<br />

University Press,<br />

2007.<br />

(2) N. Myers,<br />

Philosophical<br />

Transactions of the<br />

Royal Society B, 356,<br />

16:1, 2001.<br />

(3) R. S. J. Tol,<br />

Mitigation and<br />

Adaptation<br />

Strategies for Global<br />

Change, 12, 741,<br />

2007.<br />

(4) S. J. A. Gibbons<br />

et R. J. Nicholls,<br />

Glob. Environ.<br />

Chang., 16, 40, 2006.<br />

(5) J. Barnett<br />

et W.-N. Adger,<br />

Climatic Change, 61,<br />

321, 2003.<br />

(6) N. Harvey (dir.),<br />

C.-D. Woodroffe,<br />

et al., dans Global<br />

Change and<br />

Integrated Coastal<br />

Management : the<br />

Asia-Pacific Region,<br />

277, Springer, 2006.<br />

(7) J. P. Ericson<br />

et al., Global Planet<br />

Change, 50, 63, 2006.<br />

* Un réfugié<br />

écologique<br />

est une personne<br />

forcée de quitter<br />

l’endroit<br />

où elle vit à cause<br />

d’un tremblement<br />

de terre, d’un<br />

tsunami,<br />

d’une éruption<br />

volcanique, de la<br />

déforestation, de la<br />

montée des eaux...<br />

* <strong>La</strong> subsidence<br />

correspond à un<br />

affaissement du<br />

delta sous le poids<br />

des sédiments.<br />

LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 15

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