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La Recherche - Veolia Environnement

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MODÉLISATION ÉCONOMIE<br />

QUEL SERA L’IMPACT<br />

DU VIEILLISSEMENT<br />

SPECTACULAIRE<br />

DE LA POPULATION<br />

CHINOISE SUR<br />

L’ÉCONOMIE MONDIALE ?<br />

Jean-Charles<br />

Hourcade<br />

est directeur du<br />

Centre international<br />

de recherche sur<br />

l’environnement et<br />

le développement<br />

(Cired) et directeur de<br />

recherche au CNRS.<br />

hourcade<br />

@centre-cired.fr<br />

Climatologues et politiques attendent beaucoup des scénarios<br />

économiques. Peut-être trop : ce ne sont pas des outils de prédiction,<br />

mais de compréhension des mécanismes en jeu.<br />

Très tôt, dès les années 1980, la modélisation<br />

économique a été mobilisée autour de l’affaire<br />

climatique pour répondre à différentes<br />

questions : d’une part, celles des climatologues,<br />

qui avaient besoin de scénarios<br />

économiques plausibles pour définir l’évolution des<br />

émissions de gaz à effet de serre (GES) à introduire<br />

dans leurs modèles (lire « Météo incertaine pour<br />

2050 », p. 16). D’autre part, celles des décideurs et<br />

de l’opinion publique pour évaluer les possibilités<br />

de réduction des émissions de GES, l’implication<br />

sur la croissance économique et sur l’emploi. De<br />

cette modélisation, ils attendent aussi des informations<br />

sur les échéances et l’ambition des politiques<br />

énergétiques à adopter selon l’ampleur des risques<br />

qu’elles permettraient d’éviter.<br />

26 • LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415<br />

Peut-on<br />

lire dans<br />

le futur ?<br />

Du point de vue scientifique, le défi est évident : pour<br />

évaluer l’impact d’actions entreprises aujourd’hui,<br />

il faut modéliser des horizons de trente à cent ans,<br />

période minimale de transition vers un monde rejetant<br />

peu de GES. Or, pour calculer leurs conséquences<br />

sur l’effet de serre à partir des modèles climatiques,<br />

il faut se projeter encore plus loin. Tout esprit qui<br />

s’est quelque peu frotté au doute cartésien s’inquiétera<br />

de façon légitime de ce que l’on quitte alors le<br />

domaine de la science pour entrer dans celui de la<br />

futurologie.<br />

Les premiers modèles économiques utilisés au sein du<br />

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution<br />

du climat (GIEC) sont des modèles de « prédiction » :<br />

ils permettent de définir le futur le plus probable en<br />

retenant des hypothèses « raisonnables », qui ne cho-<br />

© BRIGITTE CAVANAGH<br />

quent pas au vu des ordres de grandeur communément<br />

admis. Mais les incertitudes de ces hypothèses<br />

sont si radicales qu’on n’a pas de base scientifique<br />

suffisante pour trancher entre diverses conjectures.<br />

Cela aboutit à des fourchettes d’émissions de<br />

GES très larges : de 4 gigatonnes de carbone(GtC<br />

ou milliards de tonnes de carbone) à 28 GtC, en<br />

2100. Aussi, lors du lancement du<br />

troisième rapport du GIEC, en 1998,<br />

une autre voie de modélisation a été<br />

retenue, qui n’est plus fondée sur des<br />

probabilités : la modélisation « prospective<br />

». L’enjeu était alors de définir<br />

au mieux les conditions économiques<br />

et techniques de plusieurs avenirs possibles,<br />

d’en déduire les conséquences<br />

pour les décisions d’aujourd’hui et de comprendre<br />

comment le court terme conditionne le très long terme.<br />

Autrement dit, en quoi les décisions d’infrastructures<br />

prises aujourd’hui (énergie, habitat, transport...) vont<br />

déterminer les émissions de GES pendant les<br />

cinquante prochaines années.<br />

Ces outils de modélisation permettent de comprendre<br />

les mécanismes en jeu dans tel ou tel choix. Ainsi,<br />

au lieu de prédire laquelle de l’option nucléaire<br />

plus hydrogène ou de l’option bioénergie s’imposera,<br />

in fine, pour « décarboniser » les systèmes<br />

énergétiques, il s’agit de cerner les conditions pour<br />

qu’elles s’imposent : contraintes d’inertie technique,<br />

de financement, résilience face à la volatilité des prix<br />

des hydrocarbures, compétition entre bioénergie et<br />

production alimentaire, etc.<br />

Cascade d’incertitudes<br />

Six scénarios génériques baptisés Special Report on<br />

Emissions Scenarios (Sress) ont ainsi été retenus,<br />

comme autant de visions du futur. Autant d’expériences<br />

numériques, combinant des hypothèses<br />

sur la globalisation économique, les styles de vie<br />

et la technologie en tenant compte de l’inertie des<br />

tendances en cours. Une douzaine de groupes de<br />

modélisateurs en ont décliné plusieurs versions.<br />

Ensuite, d’autres groupes se sont calés sur eux,<br />

ce qui fait que, aujourd’hui, une base de données<br />

de plusieurs centaines de simulations existe. Cela<br />

débouche sur le spectre des scénarios de référence.<br />

<strong>La</strong> largeur de ce spectre montre<br />

qu’on n’est plus dans le domaine<br />

strict de la prédiction, mais bien<br />

dans celui de la prospective avec<br />

toutes les inconnues que cela<br />

comporte.<br />

Pour comprendre la sensibilité des<br />

résultats, il suffit de partir du fait que<br />

<strong>La</strong> modélisation<br />

prospective<br />

a remplacé<br />

la prédiction<br />

LES CHOIX<br />

ÉNERGÉTIQUES ACTUELS<br />

DÉTERMINERONT<br />

LES ÉMISSIONS DE GAZ<br />

À EFFET DE SERRE<br />

DES CINQUANTE<br />

PROCHAINES ANNÉES.<br />

MODÉLISATION ÉCONOMIE<br />

les émissions de GES dépendent de la démographie,<br />

du niveau des revenus par habitant, de l’utilisation de<br />

ces revenus (part des services et de la consommation<br />

matérielle), de l’efficacité de la chaîne qui va de<br />

la production à la consommation d’énergie et du<br />

contenu en carbone de cette énergie (part du charbon,<br />

du nucléaire, des éoliennes). Une cascade<br />

d’incertitudes dont la combinaison<br />

est vite explosive et pour laquelle une<br />

faible variation des paramètres a une<br />

incidence considérable : des écarts de<br />

0,1 % à 0,2 % du taux de croissance<br />

annuel des revenus et de la part de<br />

l’énergie dans le Produit intérieur brut<br />

(PIB* ) donnent des écarts de plus de<br />

30 % d’émissions de GES ! Il faudrait<br />

veiller à ne pas centrer la communication scientifique<br />

sur de tels résultats numériques intrinsèquement<br />

incertains et rappeler que l’apport majeur des<br />

modèles est la mise en lumière des mécanismes en<br />

jeu, des mécanismes qu’il vaudrait mieux accepter<br />

d’envisager, quels qu’ils soient...<br />

Ainsi, parmi les scénarios Sress, existe un scénario<br />

dit « A1F1 ». Il combine des hypothèses tout à fait<br />

plausibles sur les dynamiques d’infrastructure dans<br />

les pays en développement, la compétitivité croissante<br />

du charbon et le peu de mesures prises dans<br />

les pays de l’Organisation de coopération et de développement<br />

économiques pour réduire les émissions.<br />

Débouchant sur de très fortes émissions de carbone<br />

donc de très fortes hausses de température, il est<br />

apparu « déraisonnable ». Il a donc été éliminé alors<br />

que les tendances observées depuis lui donnent raison<br />

avec une accélération des émissions plus forte que<br />

celle des scénarios les plus pessimistes.<br />

Néanmoins, cette modélisation prospective est<br />

k<br />

* Le Produit<br />

intérieur brut<br />

(PIB) est<br />

la valeur totale<br />

de la production<br />

interne nette de<br />

biens et services<br />

marchands dans<br />

un pays, pendant<br />

une année.<br />

LA RECHERCHE • OBJECTIF TERRE 2050 • JANVIER 2008 • N° 415 • 27<br />

© LUIDER EMILE/RAPHO/EYEDEA

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