Le Royaume d\'icare

Joseph, Distrait par Bianca, Joseph a laissé les deux autres
prendre les devants. Sa fille veut tout voir avant même d’être
sortie de la gare, excitée par Paris. Il faut dire que la conversation
dans le train l’avait laissée hors jeu. À cause du « fou
qui parle toujours de Dieu », s’était-elle plainte en italien à
son père.
Le Hollandais est pris d’un fou rire à s’en tenir les côtes.
Debout, il lui répond en italien :
— Venant d’une si belle demoiselle, c’est un compliment,
tout en italien s’inclinant la tête bien basse, devant une
Bianca encore moins rassurée quant à la santé mentale de
l’individu.
«
— Ce n’est pas logique, il me semble, avait répliqué Joseph
La discussion s’était allongée entre l’aînée, son père et lui,
glissant des échecs aux mathématiques puis à Dieu. Joseph
n’ayant pas utilisé le terme adéquat, choqué, Boey l’avait foudroyé
du regard. Le remous que suscite parfois l’usage d’un
terme impropre éveille à chaque occasion en Joseph le souvenir
d’une partie d’échecs contre le maître Culbertson, un
gambit dame refusé. Le jeune Feuerbach vient de clouer le
cavalier roi blanc avec son fou, tôt dans l’ouverture. Voyant
le coup, le maître lève les yeux au ciel. Prestement amenée à
trois cavalier dame, la reine du maître tonne sur l’échiquier,
rappelant le marteau du juge qui condamna son père. Joseph
avait fait une erreur à Hastings ce jour là et il l’avait payée
cher, comme son père avant lui. Le jeune Feuerbach s’était
défendu avec toute l’ingéniosité dont il regorgeait. Pourtant,
au vingt-septième coup, il lui fallut abandonner. Déjà. Une
réfutation sans équivoque. Cette débâcle le priva de la première
place. Il avait vingt-sept ans.
128