Le Royaume d\'icare

Belladona a vu la partie différemment. Dans une ouverture
en plein développement, le Serbe a reculé un cavalier
sur la première traverse afin de le replacer. Assis aux premières
rangées, Miguel avait jugé la manœuvre profonde.
Il croyait le pion perdu. Après la poussée, il a compris peu à
peu le plan génial du Polonais et découvert le sacrifice de fou.
Les explications d’Ekenstein ont corrigé sa vision de la partie.
Le retrait du cavalier déconnecte les tours blanches, élément
dont l’Italien n’avait pas soupesé les conséquences. De
plus, les blancs se retrouvent momentanément en retard de
développement. Une minute de réflexion a suffi à Ekenstein
pour se convaincre d’attaquer l’autre cavalier avec un pion
central. Heureux de voir cette poussée, le Serbe replace le
cavalier sur la deuxième traverse. Il menace maintenant son
agresseur. Plutôt que de protéger son fantassin, Ekenstein
le pousse contre le rempart adverse et oblige sa capture par
un pion, ce qui congestionne la sortie des figures blanches.
Les noirs montent ensuite à l’assaut du roi. Un « tour prend
cavalier » est dans l’air, sait Belladona. Mais comment poursuivre
La dame noire se déplace. Elle attaque une tour
blanche qui doit bouger. Par deux fois encore, la dame récidive,
manœuvrant « en escalier » pour se faufiler à l’aile roi,
comprend Belladona émerveillé. Quand Ekenstein sacrifie
le fou, il annonce mat en cinq.
— Pour moi, une vision n’est pas un mirage. Ce n’est pas un
gain inespéré ou un appétit incontrôlé d’attaque, remarque
Ekenstein un peu gêné.
Il s’immobilise, les yeux au loin, comme en attente de
quelque chose d’oublié.
— Quand ce qui « saute aux yeux » — une expression française
qu’il doit expliquer à Ivanovic — est une géométrie,
alors c’est toujours objectif. À moins d’être ivre.
Belladona sourit. Il a devant lui le futur champion du
monde. Bjelica Ekenstein vient de lui fournir l’élément que
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