Le Royaume d\'icare

Angleterre, printemps 1900. Un début de siècle exceptionnellement
pluvieux. Joseph Feuerbach marche dans
les corridors d’un hôpital universitaire affilié à Cambridge.
Borj Nilsson l’accompagne. Ils ont fait connaissance dans
un café tout près. Joseph y était entré le temps de reprendre
son souffle. Il profite du tournoi de Londres, où il est traité
comme un roi, pour rendre visite à Eising, qu’on dit « aliéné ».
Au café, Nilsson était attablé devant un curieux quadrillage
de dix-huit cases de côté. Les deux joueurs placent tour à
tour des jetons, blancs pour l’un, noirs pour l’autre, aux intersections
des cases, et non sur les cases. Amusé, Joseph
s’est approché et découvre le jeu de Go ainsi qu’un homme
remarquable. Lors de leur première rencontre à Berlin durant
la guerre, Feuerbach comprendra que le jeune Nilsson
qu’il peine à battre est le fils du Borj Nilsson qu’il a rencontré
dans un autre café, près de Cambridge, dix-sept ans plus tôt.
Un gardien les mène à travers des corridors en vieilles
pierres vers l’étage « inférieur », terme qui fait tressaillir Joseph,
puis vers l’aile à sécurité « maximale », d’une inhumanité
immaculée.
— Il est calme en ce moment, commente le préposé en
marchant. Il joue.
— Joue questionne Nilsson.
— Aux échecs.
— Seul
— Il analyse, précise Feuerbach.
— Non, monsieur. Il joue contre Dieu, précise leur guide,
les yeux au plafond.
La cadence de leurs pas sur les dalles propres. Des portes
défilent, toutes identiques, munies d’une lucarne carrée fermée
à la hauteur des yeux. Le trio s’arrête devant le numéro
14. En glissant de côté, le carré de bois libère une fenêtre
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