Le Royaume d\'icare

lettre, confortablement installée dans son coin coin, plume
en main, maquillée, enrobée de tissus, de bijoux discrets et
d’un parfum citronné. Un bref instant, elle a fixé son mari,
une inquiétude dans l’œil. Une intelligence en retrait dans le
train train qui roule.
Quand on chemine insouciant sur un sentier cahoteux,
une cheville tordue vous rappelle à vos pas. Par contre, à trop
porter attention au chemin, on perd de vue le lointain, d’où
l’intérêt de suivre une route, avait un jour commenté frère
Thomas. En route pour Hambourg, John avait compris que
l’usage du train se passe de sagesse. Il marche à votre place
et se rend inexorablement à destination. Dans l’esprit du
Bouddha, le « chemin de fer » est une certitude sans destinée.
Dépouillé du présent de sa marche, l’esprit n’arrive plus
à goûter l’instant, alors le rêve se fait présent.
Le canard est un oiseau qui repose sur l’eau calme, à l’abri
des prédateurs terrestres. Pas d’état de siège pour l’agresseur,
l’oiseau s’envole depuis sa demeure. L’expression du
visage, des lèvres surtout, note Nilsson, révèle chez madame
Reeves une âme intérieure chevaline. Pas l’âme d’un cheval
de trait, celle d’un noble coursier. Un esprit fougueux et inquiet,
inconscient de son caractère. Quant aux mâles, son
loup s’en occupe. Le canard loge au milieu d’un lac dans une
prairie d’amour. Son bien-être est imperméable.
— C’est le coup, annonce Reeves avec l’intonation du marchand
qui étale ses aubaines.
Nilsson sursaute. La vision s’estompe
— Elle est porte-parole d’une association qui milite en
politique pour les droits des femmes. Un travail très accaparant,
précise le banquier.
Une fois la position reconstituée, voyant l’Anglais concentré,
Frank est demeuré silencieux. Le jeune Nilsson lui rap-
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