Le Royaume d\'icare

Hier soir au café, Lacourcelle s’est contenté d’ânonner.
Ce que le chevelu lui a murmuré fut convaincant. L’autre a
acquitté son dû et est parti sans commenter. Il m’a serré la
main.
Miguel a dormi quelques heures dans un petit hôtel. Levé
tôt pour se préparer, il s’est mis dans son personnage, d’abord
en s’habillant puis en marchant.
— Il faut être dans ton rôle avant d’entrer en scène, le sermonnait
Béatrice. Comme si tu entrais chez toi.
Les rues marchandes sont charmantes de quotidien le matin,
à Paris comme à Rome. Le peuple s’y fait eau pure. Derrière
les devantures que Belladona longe, rue des bijoutiers,
les commerçants s’affairent. Une rue discrète où les passants
vont pour affaire. De celles qui vous font rebrousser chemin
quand vous êtes perdus tellement on s’y sent ailleurs. Certains
théâtres sont fermés, représentation en soirée seulement.
Derrière chaque façade existe un décor. La façade est
tout. Il en avait été frappé à Florence. Est vrai ce à quoi chacun
acquiesce.
Miguel fait les cent pas en prenant soin d’éviter la flaque
blafarde que jette le réverbère au gaz. Un peu nerveux car
son contact est en retard, il a caché la valise, au cas. Il scrute
la place publique de l’autre côté du boulevard. Elle s’allonge
en cicatrice à travers la ville. Minuit s’annonce et il pleuvote.
La vaste place dallée de pierres dures est déserte. Au centre,
un monument arrogant de gloire. Plus loin, l’église. Puis,
derrière, les résidences luxueuses où les riches dorment. De
ce côté-ci, les messieurs de bonne famille viennent baiser les
putes et s’amuser dans les tripots du quartier pauvre.
Derrière le mur que Miguel longe, un homme s’active.
C’est le mari de la dame qui subventionne leur troupe d’apprenti-comédiens.
Une autre arnaque. Tapi dans l’ombre,
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