Le Royaume d\'icare

échecs. Les salles de tournoi bien sûr, mais aussi les cafés réputés
et les duels privés, toujours avec mise. Les riches amateurs
aiment perdre contre les meilleurs, mais en secret. Les
autres lieux vont du chemin de fer à la route poussiéreuse.
Ils servent à se rendre là où Bjelica jouera aux échecs. Ils le
mènent de port en port, de ville en ville, de gare en gare. Voilà
son chemin de croix, comme disaient les Culvier, qu’il n’a
jamais revus, emportés comme lui par le tourbillon de la vie.
Pour l’instant, Ekenstein quitte une oasis de repos pour un
lieu de compétition.
Dans l’escalier le Polonais brise le silence :
— Je suis sans consistance, Joseph. Tout dépend de ma
concentration. Tu n’as plus rien à redouter de moi. J’ai trop
de mauvais jours, soupire-t-il.
— Ce n’est pas ça… Enfin si, d’une certaine manière.
— Au café, tu avais peur que j’ai cessé de jouer.
— Quel café
— À Ostende.
— La grosse bourse que j’ai du partager.
— Et moi donc, quadruple égalité.
— Un tournoi difficile. Tu t’en étais fort bien tiré.
— Si c’est la catastrophe de l’an dernier que tu redoutes,
elle ne se reproduira pas. À Londres, j’étais brisé, je jouais
sur des braises. La guerre s’éteint aussi en moi, mais lentement.
J’ai perdu mon éclat, Joseph.
Le Polonais attend un signe avant de poursuivre, mais
Feuerbach demeure silencieux. Dehors, une pluie fine les
accueille. Une voiture motorisée attend. Le chauffeur s’approche,
parapluie en main.
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