Le Royaume d\'icare

plomate qu’il s’absente pour une petite promenade. Tout en
horaire, taux de change, compartiments et valises, l’homme
répond :
— Le départ est prévu pour deux heures quatre. Ça vous
laisse donc… quarante-sept minutes.
— J’ai amplement le temps.
— Avez-vous une montre
La question fait sourire Bjelica. Il ne comprend pas l’utilité
d’un chronomètre quand il ne joue pas aux échecs.
— Bon, tenez, prenez la mienne. Faites-y attention, c’est
un souvenir de famille.
Le port s’est considérablement agrandi en vingt-cinq ans.
Là où s’étalaient les commerces ambulants, des hangars ont
pris racine. Bjelica s’attarde aux détails et prend un certain
temps pour trouver le nouveau marché. À l’intérieur, il ne reconnaît
plus l’endroit tant les commerces, les marchandises,
les étalages et les devantures ont changé. Le brocanteur a
disparu, cela le désole. L’heure aussi. Accélérant le pas, il voit
la gare apparaître au coin d’une ruelle coincée entre deux bâtisses
commerciales. Signal du départ, la masse de métal qui
gémit et se met lentement en marche. Au loin, le l’homme lui
fait signe devant leur wagon.
Le souffle l’a jeté sur le dos. Il n’a pas un souvenir clair de
l’explosion. Ses oreilles bourdonnent, la fumée irrite sa vue
et gêne sa respiration. Imprimé en grosses lettres dans les
journaux, l’acte de terrorisme sera attribué à la gauche révolutionnaire,
alliée aux Rouges. L’attentat visait une délégation
diplomatique. Il vient aussi d’emporter, mais aucun
journal n’en parlera, tous les biens personnels du Polonais
qui, par terre, dans la fumée et les cris qu’il n’entend pas, rit
aux larmes. En tombant, la montres’est brisée.
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