Le Royaume d\'icare

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Manoir Duquesne, un peu avant l’aube
Kolarov a dormi sur des cailloux. Il ne voulait pas de ce
cirque avant le début du tournoi. Ça le rend insomniaque
à chaque fois. Il faut se reposer avant une compétition. Les
financiers ne semblent pas comprendre tout le travail et
l’énergie que cette « épreuve » nécessite. L’exhibition l’a
épuisé par le trop-plein de sollicitation. Impossible de ne
pas sentir les regards qui, mire braquée sur le renard embusqué,
attendent la faute. Jouer plusieurs parties simultanément
ne pose pas de difficulté notable. Face à une faible opposition,
Frédéric explore des gambits. Parfois des variantes
secondaires quand certains adversaires manifestent une
connaissance intéressante du déploiement des pièces. Surviennent
des positions didactiques qu’il pourrait commenter
dans un manuel, à la manière des professeurs de l’académie.
Des exemples plus clairs et des préceptes nouveaux.
Quand ses rêves deviennent tendus, il y joue aux Échecs.
Une peur omniprésente de l’erreur; « ils » regardent. Certaines
nuits une position fige en une géométrie de pièces
essentielle. Apparaissent alors les poteaux de la blanche
clôture du domaine Grigov, devenus des pièces d’échecs
géantes. Elles ceinturent la terre noire que Frédéric doit traverser
sans endommager la récolte. L’angoisse que sécrète
l’erreur possible le mène à l’orée de l’éveil. S’il revient brutalement
à lui, un coup en tête, c’est une trouvaille. Le puits
obscur où naissent ses rêves semble regorger de visions dont
il ne s’abreuve qu’une gorgée à la fois. Sa réponse au pion roi,
que les chroniqueurs appellent déjà la « défense Kolarov »,
est le fruit d’un sommeil écourté. Une perle d’intelligence,
a écrit le Deutsch Schach. Les nuits qui suivent une simultanée
sont si fruitées que son imagination en demeure stérile,
épuisée en le trop plein excitations.
Ne pouvant reposer, Frédéric est sorti respirer l’air du matin.
Il s’est accoudé au balcon, les yeux au vide. Se soumettre