Le Royaume d\'icare

— Regarde, murmure Grâce à son oreille.
Penchée à sa hauteur, elle pointe un corbeau :
— Celui qui parle fort. Va voir. Je t’attends ici.
Mère et fils sont au cœur d’une foule rassemblée par la harangue
d’un homme à la voix rude. Certains badauds rient,
d’autres se moquent discrètement. Pourtant, remarque l’enfant,
la plupart prêtent l’oreille. Se faufilant à travers une forêt
de jambes, Jonathan parvient à l’orée. Devant lui, se tient
un homme robuste et de forte barbe, juché sur une caisse de
bois. Il ne porte ni la robe noire ni le crucifix des corbeaux
pourtant. Ses compères distribuent des tracs. Jonathan a dix
ans et l’individu lui rappelle autant l’ogre que le bûcheron.
Un chaleureux soleil de début mai a entassé au parc les badauds
en manque de distraction. L’orateur s’avère une occasion.
— Il ne porte pas un habit de prêtre, souligne Jonathan au
retour.
— C’est un prêtre sans uniforme, un prêtre du peuple. Tu
as vu son petit livre
«
Sa foi tient à ce qui est écrit à l’intérieur. Une parole morte.
Jonathan a gardé en mémoire la flamme dans l’œil de
l’homme, celle des vendeurs de Messie et d’Apocalypse. Des
yeux qui regardent ailleurs. Un endroit qu’il décrit aux autres
dans ses visions. Jonathan ne peut pas encore formuler de
telles pensées. Elles germeront des années durant, nourries
d’expériences de lucidité. L’ultime allaitement, comprendra-t-il
une fois devenu homme.
— Pourquoi le fait-il alors
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