Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
« Je lui dirai : « Tu p<strong>en</strong>ses bi<strong>en</strong> que notre amour, l’amour<br />
de Phil-et-Vinca, aboutit ailleurs que là, là, cette couche de<br />
sarrasin battu, hérissé de fétus. Il aboutit ailleurs qu’au lit de ta<br />
chambre ou de la mi<strong>en</strong>ne. C’est évid<strong>en</strong>t, c’est sûr. Crois-moi !<br />
Puisqu’une femme que je ne connais pas m’a donné cette joie si<br />
grave, dont je palpite <strong>en</strong>core, loin d’elle, comme le cœur de<br />
l’anguille arraché vivant à l’anguille, que ne fera pas, pour nous,<br />
notre amour C’est évid<strong>en</strong>t, c’est sûr… Mais si je me trompais, il<br />
ne faut pas que tu saches que je me trompe… »<br />
« Je lui dirai : « C’est un rêve prématuré, un délire, un<br />
supplice p<strong>en</strong>dant lequel tu mordais ta main, pauvre petit<br />
compagnon, auxiliaire courageux de ma cruelle besogne. C’était<br />
pour toi un rêve, peut-être affreux; pour moi, une humiliation<br />
pire, une volupté moins bonne que les surprises de solitude.<br />
Mais ri<strong>en</strong> n’est perdu, si tu oublies, et si moi-même j’efface un<br />
souv<strong>en</strong>ir miséricordieusem<strong>en</strong>t voilé déjà par la nuit… Non, je<br />
n’ai pas serré tes côtes flexi<strong>ble</strong>s <strong>en</strong>tre mes g<strong>en</strong>oux; mais pr<strong>en</strong>dsmoi<br />
à califourchon sur tes reins, et courons sur le sa<strong>ble</strong>… »<br />
Quand il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit, sur leur tringle, glisser les rideaux, il<br />
appela à lui son courage et réussit à ne pas détourner la tête…<br />
Vinca parut, <strong>en</strong>tre les contrev<strong>en</strong>ts qu’elle rabattit sur le<br />
mur. Elle cligna fortem<strong>en</strong>t des paupières à plusieurs reprises, et<br />
regarda devant elle avec une fixité passive. Puis elle <strong>en</strong>fonça ses<br />
mains dans l’épaisseur de ses cheveux, et retira, de leur<br />
désordre, une brindille sèche… Le sourire et la rougeur<br />
éclatèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>sem<strong>ble</strong> sur son visage qu’elle p<strong>en</strong>cha <strong>en</strong>tre ses<br />
cheveux mêlés, cherchant sans doute Philippe. Bi<strong>en</strong> éveillée, elle<br />
prit dans la chambre un pichet de terre vernissée, et arrosa avec<br />
soin un fuchsia pourpré qui fleurissait le balcon de bois. Elle<br />
consulta le ciel frais et <strong>ble</strong>u, qui promettait le beau temps, et se<br />
mit à chanter une chanson qu’elle chantait tous les jours. Entre<br />
les fusains, Philippe veillait, comme un homme v<strong>en</strong>u là pour un<br />
att<strong>en</strong>tat.<br />
– 128 –