— 78 —la gaîté des danses sous les cocotiers, au battement destambours tonnants. Gabriel, si calme, si droit 1 Sonhomme parmi tous les autres hommes, le Bon Dieul'avait créé pour elle ! Gabriel qui, bien qu'esclave, forçaitl'estime de son maître ! Gabriel, pour qui elle priaitchaque soir et pour qui elle déposait une petite offrandede fleurs sauvages devant l'image de la Vierge ! — Gabrielavec qui eile serait heureuse même dans la plus misérabledes ajoupas ! Elle sacrifierait volontiers sa liberté, si ellel'avait, et même sa vie pour l'aider. On disait qu'elle étaitbelle, yon bel bois, comme un bel arbre, comme un jeunepalmier. Pourtant elle ne désirait être belle que pour plaireà Gabriel, Et cependant, on allait la séparer de lui, sousprétexte qu'il n'était pas assez bon pour elle ! Comme si lesmaîtres pouvaient savoir. Ils désiraient la garder auprèsd'eux pour toujours, pour continuer à souffrir pour eux,à vivre dans l'obscurité et dans le silence comme un manicou.Et ils avaient le droit de la torturer, de lui enleverGabriel ! Tout était mauvais sur cette terre, pour elle dumoins. Tous ceux qu'elle avait aimés lui avaient été enlevés,d'abord sa mère, Douceline, puis Aimée Desrivièreset maintenant Gabriel.Le lendemain de son retour de la ville, M. Desrivières
— 79 —prit <strong>Youma</strong> à part et lui apprit ce qu'il avait décidé,d'accord avec M Peyronnette. <strong>Youma</strong> revenait de lar a erivière avec Mayotte, après avoir donné à l'enfant sonbain quotidien. Il lui parla avec bonté, mais très franchementet d'une manière qui ne lui laissa plus aucun espoir.Elle demeura longtemps immobile et silencieuse danssa chambre. Puis obéissant au désir de Mayotte, elle l'accompagnasur la vérandah. Il faisait une journée d'uneclarté exquise ; une brise tiède soufflait de la mer, du côtéle plus rapproché de la vallée retentissait le roulementsourd et fondu d'un lambou-belai et le refrain d'unechanson africaine. Une troupe de manœuvres traçait unnouveau sentier jusqu'au sommet d'une morne, l'ancienchemin ayant été balayé par des pluies récentes. L'intendantavait déterminé la direction à suivre, et tracé deszig-zags avec des cordes. Et les ouvriers descendaientlentement en une double file; ils chantaient tous, et deleurs bêches et de leurs battes, ils battaient la mesure aurythme des tambours. Parfois ils jetaient leurs bêches enl'air, et les rattrapaient, ou bien ils se les lançaient lesuns aux autres, sans perdre la cadence du mouvement.Une jeune fille, la petite Chrysalinde, portait un plateauchargé de tasses d'étain, de dobannes d'eau et d'un pichetde liqueur. Elle versait à boire à toris dans les moments
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XIVLa rue se remplit d'un lourd mur
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