- 84 -l'abandon de ses amis, de la fuite loin de son lieu de naissance,du manquement à tous ses devoirs, qui la déclasseraientpour toujours et lui foraient perdre l'estime de tousceux qui avaient confiance en elle. Mais, maintenant,tandis qu'elle songeait, qu'elle songeait très sérieusement,elle savait que lorsqu'elle aurait mai agi la honte lui brûleraitle visage. Non ! Non ! Non ! ce n'était pas vraique sa vie avait été absolument malheureuse. Elle se rappelaitune suite douce et brillante de jours délicieux. Etsurtout les jours de son enfance, avec Aimée, quand ellesjouaient ensemble dans la maison de M Peyronnette,r a odans la grande belle cour ensoleillée, pleine de palmiers etde plantes bizarres aux feuilles gigantesques, la grandecour d'où on apercevait, dans la clarté bleue, toute la baiemerveilleuse qui s'étend entre Grosse Roche et Fond Carré,avec ses navires allant et venant par-dessus l'horizon oubien se balançant paresseusement à l'ancre : — la grandecour où, tous les matins, elles donnaient à manger auxzanolis, les petits lézards verts qui vivaient dans la tonnelleet qui descendaient, en un scintillement, du haut de lavoûte verte de vigne grimpante, pour ramasser les miettesqu'elles leur jetaient... Aimée qui avait tout partagé avecelle, même lorsqu'elle était devenue une grande jeunefille... Aimée, dont la main de mourante avait serré la
- 85 -sienne avec une si affectueuse confiance, Aimée qui avaitmurmuré à l'instant d'expirer. :— <strong>Youma</strong> 1 Oh ! <strong>Youma</strong>, tu aimeras mon enfant ?<strong>Youma</strong>, tu ne la quitteras jamais, quoi qu'il arrive, tantqu'elle sera petite ?... Promets-moi cela, chère <strong>Youma</strong>.Et elle avait promis.<strong>Youma</strong> revit ensuite le visage de M Peyronnette, quim dlui souriait sous ses bandeaux argentés, qui lui souriaitcomme lorsque <strong>Youma</strong> sentait une fine main blanche,chargée de bagues, lui caresser doucement le visage, —et aussi comme lorsqu'elle entendait la vieille dame luidire :— Toi aussi, enfant, tu es ma fille,— ma jolie nombrefilleule en Dieu ! Tu dois être heureuse ! Je veux que tusois heureuse.Et elle avait vraiment essayé de la rendre heureuse :elle avait formé beaucoup de projets, elle avait dépensébeaucoup d'argent afin que <strong>Youma</strong> ne pût jamais envierd'autres femmes de sa classe... Et <strong>Youma</strong> songea à tousles cadeaux qu'elle avait reçus. Elle songea au confort dontelle avait joui. Elle avait toujours eu sa chambre, quidonnait sur la tonnelle ornée de vignes "fet de pommes deliane, où tournoyaient les oiseaux-mouches cramoisis etémeraudes, une petite chambre toute remplie du vent de la
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