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09_+Russie,+mille+ans+d'enigme

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LES CHIFFRES DU GOULAGAu cours de conversations que Churchill rapporte dans ses Mémoires de Guerre (Édition anglaise, vol. IV, livre 2, pp. 218-219), Staline avoua que lacollectivisation forcée des campagnes qui frappa surtout l'Ukraine de 1929 à 1933, avait fait quelque dix millions de morts.Resnais. Pourvu seulement qu'on n'ait pas faitde sensationnalisme morbide en se servant desmorts pour réussir un bon tirage ! À ce propos,on est vite rassuré par le sérieux de 1 'article.C'est pour de toutes autres raisons qu'on engarde une impression de gêne.Minimiserl'effroyable bilanLa présentation détaillée des statistiquesdu goulag, tableaux à l'appui, par l'historienNicolas Werth, rendent bien compte du phénomènede masse que fut la répression politiqueen URSS. Mais un sentiment désagréables'insinue en cours de lecture.Le lecteur en retient avant tout que leschiffres avancés jusqu'ici par des auteurs aussirespectés que Soljenitsyne (plus de dix millionsde prisonniers détenus simultanément,vingt millions de morts à l'époque stalinienne)étaient fortement exagérés. Nicolas Werthnous parle bien de centaines de milliers de victimes.Il est clair pourtant que son propos estde minimiser l'effroyable bilan.Michel Tatu (Le Monde du 18 septembre1993) reconnaît la valeur de son article maisrelève déjà une des difficultés à produire deschiffres complets : « Aucune statistique nerend compte des personnes condamnées à ladétention et qui ne sont jamais arrivées à destination». Nicolas Werth reconnaît lui-mêmeque les sources sont encore limitées : « Ungrand nombre de fonds d'archives reste pra tiquementinaccessible » (p. 38) et que « nousdisposons ainsi aujourd'hui d'un corpus statistiquecertes encore incomplet » (ibid.). Dansces conditions, comment peut-on affirmerdétenir les vrais chiffres du goulag ?Certaines archives du goulag ne sont devenuesaccessibles aux savants soviétiques qu'àla fin des années quatre-vingt et aux Occidentauxseulement après août 1991. Elles reposentencore pour la plupart dans les locaux duKGB.Il faut imaginer les difficultés d'exploitationscientifique des archives. Un ou deuxchercheurs menant une enquête en histoiresérielle et quantitative mettent facilement troisans, voire beaucoup plus, pour porter un jugementdéfinitif ou émettre des hypothèses qualitativessur quelques milliers d'affairespénales. Comment peut-on alors régler le problèmehistorique des millions de prisonniersdu goulag en l'espace de deux ans ? Il faudrade longues années et des dizaines de chercheurspour dépouiller des tonnes d'archives.Des équipes de recherche commencent à peineà constituer leurs projets, ce qui n'est passimple sur le plan politique : l'infrastructurepolicière et une partie des cadres sont lesmêmes qu'autrefois. Ils sont incontournablespour l'accès aux documents et ne manifestentaucun enthousiasme lorsqu'il s'agit de constituerun mémorial de l'holocauste de l'èresoviétique.Avant que ce travail de longue haleine nesoit accompli et recoupé avec les témoignagesdes survivants, il faudra donc se garder deconclusions hâtives. Surtout si c'est pour minimiserles chiffres, étant donné la gravité de cequi est étudié.Une évaluationhasardeuseIl ne faut cependant pas oublier les qualitésd'historien de Nicolas Werth, dont la réputationn'est plus à faire. L'honnêteté de sonpropos et le courage de son entreprise révèlentun grand professionnalisme. Les chiffres qu'ilreprésente donnent bien l'impression qu'ungénocide s'est déroulé des années trente audébut des années cinquante. Il ne cherche pasdu tout à camoufler 1 'horreur. Il était nécessairequ'un historien puisse prendre le relaisdes militants politiques afin d'analyser le goulagde manière scientifique. Jusqu'au milieudes années quatre-vingt, nous n'avions lechoix qu'entre ceux qui niaient en bloc l'existencemême du goulag et ceux qui n'avançaientque des estimations. Il incombait auxhistoriens de l'époque post-communiste devérifier de façon critique, à tête reposée et àl'aide de documents enfin rendus consultables,les chiffres d'un Soljenitsyne. C'est le but deNicolas Werth et c'est aussi son mérite.M. Werth rappelle à juste titre commentDallin et Nikolaevski en 1948 puis AbdulramanAvtorkhanov en 1951 sont arrivés à leurestimation d'environ dix millions de détenuspar an dans les camps soviétiques à la fin des

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