LA FIN DU PIRE DES MONDEMikhail Gorbatchev et son épouse Raïssa, dont l'influence fut déterminante sur l'évolution de son mari.plutôt bonne impression lors de deux voyagesà l'étranger, au Canada et en Angleterre.Cependant, et alors que, par rapport à sespairs, il faisait figure de gamin en culottecourte (54 ans tout juste !), on ignorait à peuprès tout aussi bien de sa personnalité que deses intentions. « Dur » ou « libéral », «faucon »ou« colombe » ? Franchement, personne n'ensavait rien. Et surtout, personne ne s'imaginaitque ce pur produit de l'appareil du Parti deLénine était en réalité un mutant.Une femme d'influenceSans adhérer aux conceptions de LéonTolstoï sur la place du « Grand Homme » dansl'histoire, il est impossible de nier le rôle capitalde prédateur du communisme mondial qu'ajoué Gorbatchev. Même si, dans bien des circonstances,il eut la main forcée par le coursdes événements qu'il avait lui-même déclenchés,ce grand destructeur alla jusqu'au boutde sa tâche. Partant, sa personnalité et sa biographiene peuvent nous être indifférentes. Néen mars 1931 dans une famille de paysans dela région de Stavropol, ce Russe est un méridionalavec tout ce que cela implique commetraits de caractère. À la différence de sesparents et de ses grands-parents, il n'a pasdirectement vécu la collectivisation stalinienne,mais il en a subi très jeune les conséquences.Enfant, il a connu l'occupation allemandeet la répression qui a suivi la libérationde sa région par 1 'Armée Rouge. Intelligent,ambitieux, il a travaillé dès son plus jeune âgecomme un forcené dans les champs pour mériterle privilège de faire des études supérieures.D'abord, des études d'ingénieur agronome surplace, puis des études de droit à Moscou. Toutcela, en servant loyalement le système communisteau sein du komsomol, puis du Parti.C'est dans la capitale des dernières années staliniennes,où il était venu faire ses études à la« Faculté des choses inutiles » (selon le titredu très grand roman de Dombrovski), que lejeune provincial, plutôt gauche, fit la connaissancede celle qui devint la femme de sa vie,son égérie et son plus proche conseiller : RaïssaTitarenko. Raïssa, à la différence deMikhaïl, était issue d'une famille de l'intelligentsia(son père était professeur d'université)dont plusieurs membres avaient été victimesde la terreur politique et avaient connu le goulag.Les idées qu'on professait dans l'entouragedes Titarenko n'étaient pas forcémentorthodoxes. Pour être accepté par ce milieu, lejeune Gorbatchev dut parfaire son instruction,lire beaucoup de livres et réfléchir à beaucoupde questions. Il dut, en quelque sorte, se refaireune « Weltanschauung » (1).Le protégé d'AndropovAprès avoir épousé Raïssa et achevé sesétudes de droit, Gorbatchev retourna dans sarégion natale de Stavropol. Il y effectua unparcours sans faute, gravissant un à un leséchelons de la nomenklatura, pour parvenir,dès 1970, au poste de Premier secrétaire ducomité régional du Parti et faire peu après sonentrée au Comité central du PCUS. La quarantaineà peine dépassée, il faisait déjà figure,dans ces fonctions élevées, de « petit génie ».La région de Stavropol, berceau des cosaquesdu Kouban, a été, de tout temps, l'un des greniersà blé de la Russie, et même le pouvoircommuniste, en dépit de sa grande persévérance,n'a pas réussi à la ruiner complètement.En outre, grâce à ses stations balnéaires sur lamer Noire, la région possède des attraits touristiquescertains auxquels n'étaient pas insensiblesles satrapes du Kremlin. Ainsi, lessomptueuses datchas d'État des environs deStavropol voyaient-elles défiler chaque annéeles plus hauts responsables du Parti auxquelsGorbatchev, de par ses fonctions, servait systématiquementd'amphitryon. Bien qu'il fûtmoins que d'autres enclin à la flagornerie etqu'il détestât, pour cause de santé, les grandesbeuveries, il n'en réussit pas moins à se faireconnaître et apprécier de plusieurs habitants del'olympe soviétique. Parmi ses protecteurs (ily en eut d'autres), on peut citer à coup sûr lesnoms de Mikhaïl Souslov, gardien du templede 1 'orthodoxie idéologique, d' Andréï Gromyko,inamovible ministre des Affaires étrangèreset, surtout, de Youri Andropov, maîtredu KGB. C'est grâce à celui-ci qu'il devienten 1978 (à 47 ans !) membre suppléant duPolitburo et qu'il« monte» par la suite à Moscou,en qualité de secrétaire du Comité central.Durant le court règne d'Andropov (novembre1982-février 1984), il devient de facto lenuméro deux du régime, assurant notammentla liaison entre le leader malade et le reste duPolitburo. Pourtant, à la mort d'Andropov, lesdinosaures de la hiérarchie, cherchant à retarderl'échéance des changements et de leurpropre mise à la retraite, lui préfèrent uncadavre ambulant en la personne de ConstantinTchernenko.Un système capablede durer éternellementToujours est-il que ce 11 mars 1993, sonprédécesseur immédiat ayant rejoint Brejnevet Andropov dans la tombe, Mikhaïl Gorbatchevaccède au pouvoir suprême (ce qui, enURSS, n'est pas un vain mot!). Âgé de 54 anstout juste, il a, en quelque sorte, l'éternitédevant lui. À condition de le vouloir, les ressourcesnaturelles du pays ainsi que la patiencedes Soviétiques face à la pénurie étant quasimentinépuisables, il peut, grâce au systèmetotalitaire dont il hérite, garder les choses enl'état ou presque. Il peut perpétuer le culte dela personnalité à son profit, continuer à fairetrembler 1 'Occident et à faire taire les dissidents,il peut conserver le glacis de l'empiresoviétique de La Havane à Berlin en passantpar Hanoi, il peut, à l'instar de ses prédécesseurs,goûter à son aise et sur de longues
N DU PIRE DES MONDESDeux manifestations étrangement semblables à soixante-quinze ans de distance. Elles symbolisent la permanence de la Russie au-delà de la parenthèsecommuniste. À gauche, la foule rassemblée à Saint-Pétersbourg pour la déclaration de guerre, le 2 août 1914. À droite, cérémonie pour la pose de la premièrepierre de la nouvelle cahédrale de Kazan, à Moscou, le 4 novembre 1990.années, toutes les délices de la vie de château.Malgré ses difficultés économiques et Je retardtechnologique qu'elle prend, l'Union soviétique,en 1985, n'est pas le moins du mondeau bord de l'effondrement. Et, lorsque le nouveaumaître du Kremlin se met à parler deréformes « radicales », puis « révolutionnaires», personne ne le prend au pied de lalettre. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. Gorbatchevest un ambitieux. Mais, s' il aime Jepouvoir, sa principale ambition est d'entrerdans l'histoire non seulement comme un « bontsar », mais surtout comme un grand réformateur,dans la lignée de Pierre le Grand etd'Alexandre II. Les manuels d'histoire dufutur lui tiennent lieu de miroir et flattent savanité. Alors, le « nouveau despote » se lance.Et comme pour Pierre Je Grand, 280 ans plustôt, ses objectifs prioritaires sont l'ouverturevers 1 'Occident et la modernisation du systèmeen place. Et, comme Pierre Je Grand en sontemps, il se heurte immédiatement à la résistancedes boyards.Perestroïka et GlasnostPourtant, les débuts furent assez modesteset davantage marqués par une rhétoriquesomme toute habituelle que par des actesconcrets de grande envergure. Au cours del'année 1985, il fut beaucoup question de lanécessité de changements, mais les changementseux-mêmes se firent attendre. On procédasurtout à un dépoussiérage du sommet de lapyramide du pouvoir. On « propulsa » auposte purement honorifique de chef de 1 'ÉtatAndreï Gromyko, pour mettre à sa place lesémillant Edouard Chévamadze qui, moyennantd'innombrables turpitudes et trahisons,avait successivement dirigé Je KGB, puis JeParti, dans sa Géorgie natale. On évinça duPolitburo 1 'une des personnalités les plusodieuses et les plus corrompues du régime,Grigori Romanov, ancien maître absolu deLeningrad. Par la même occasion, volèrentquelques têtes de hauts fonctionnaires. Certainsde ces changements n'allaient cependantpas sans risque. Egor Ligatchev, successeur deRomanov et, à ce titre, numéro deux du Parti,n'allait pas tarder, en stalinien pur et dur, àprendre la tête de J'opposition conservatriceaux réformes de Gorbatchev. Dans Je mêmetemps, en remplaçant à la tête de J'organisationdu Parti de la ville de Moscou son vieiladversaire Viktor Grichine par un certain BorisEltsine, le nouveau dirigeant donnait un leaderà ce qui devint par la suite son opposition « degauche >>. Quoi qu 'il en soit, il fallut attendreJe mois de février 1986 et Je XXVII' congrèsdu Parti pour que fussent prononcés à haute etintelligible voix les mots-clés de J'ère gorbatchévienne,« perestroi.ka » et « glasnost ».En Russe, « perestroïka » signifie« reconstruction », et ce terme, en politique,peut désigner à peu près tout et son contraire.Reconstruction, mais de quoi? De J'économie,de la société, du Parti ? Sur ce point, les slogansofficiels demeuraient flous. Quant à la« glasnost », la « transparence », elle faisaitréférence à une certaine liberté d'expression,le peuple étant censé avoir le droit deconnaître« la vérité». À cela venait s'ajouterla notion, chère à Gorbatchev, de « penséenouvelle >!, c'est-à-dire de nouvelle approchedes problèmes existants. Tout cela était suffisammentconfus, mais en même temps, suffisammentnovateur pour susciter les appréhensionsdes caciques de l'appareil du Parti.cc Révolution culturelle »contre cc conservateurs »En fait, on peut penser que Gorbatchev etson entourage étaient, en 1986, surtout préoccupéspar le problème des relations avecl'Occident et par celui de la modernisation deJ'économie et du potentiel industriel du pays.À J'époque, il n'était encore nullement questiond'une quelconque transition vers une économiede marché. Il s'agissait simplement dedécentralisation, de rentabilisation et d'autonomiecomptable des entreprises (« khozrastchot!> ). Mais déjà sur ces deux points, 1 'économieet les affaires étrangères, les réticencesde l'appareil du Parti commençaient à se fairesentir. Et c'était bien sur ces deux points, timidementabordés, que Nikita Khrouchtchevavait chuté 22 ans plus tôt, en octobre 1964.C'est ainsi que, dans le courant de l'année1986, Gorbatchev commença à se trouver enbutte à 1 'hostilité croissante, non seulement decertains de ses pairs du Politburo, mais aussid'une large frange de l'appareil du Parti qui nedemandait qu 'une chose, à savoir que sur lefond on ne touche à rien. Depuis 1917, Je régimecommuniste soviétique avait connu unelutte quasi permanente pour Je pouvoir. Cependant,cette lutte, qui s'était atténuée sous Brejnevdu fait de l'immobilisme dont celui-ciétait l'apôtre et Je symbole, n'avait jamaisréellement impliqué que les échelons supérieursde l'appareil. Même le membre moyendu Comité central, lorsqu'il était épargné, pré-