1LE MENSONGE DES INIEUEC'RJEteuses. Pour les moins scrupuleux, il suffiraitd'y ajouter de l'argent et des filles.En remerciement des fave urs qu 'il obtient,Barbusse déploie un zèle infatigable. En 1935,il signe chez le très bourgeois éditeur Flammarionun Staline d'une flagornerie sans mesure.Toutes les fables somptueuses, tous les mensongesgrandioses consacrés aux plans quinquennaux,à Manitogorsk et ses merveilles, auDombass, aux statistiques industrielles ahurissantes,aux kolkhozes et sovkhozes, aux progrèsincomparables des lettres, des arts et dessciences disposent en sa personne d'un chantreébloui. Grâce à ce qu'il désigne comme « uneprogression unique dans les annales du genrehumain », l'URSS devient sous sa plume « leplus civilisé » des États modernes.Staline diviniséComposé comme un Hymne à la Joie entrois cent vingt pages, le livre ne comporte pasla moindre réserve, aucune espèce de restrictionmentale. Bon militant discipliné dudehors, 1 'auteur se croit même tenu d'accablerd'outrages Léon Trostki alors en exil, avec lacolère d'un jeune komsomol. L'ouvrage se termineen apothéose, avec un portrait de Stalineproche de l'exaltation. Nous apprenons ainsiqu'il s'agit d'un « homme lumineux ... Quandon le rencontre, il est cordial et familier. »Suprême délice, il « rit comme un enfant » ;bien entendu, il « aime les enfants ». Puis1 'hagiographie se clôt par un prêche : « Quique vous soyez, la meilleure partie de votredestinée, elle est dans les mains de cet ...homme, qui veille aussi sur tous, et qui travaille-,homme à la tête de savant, à la figured'ouvrier, et à l'habit de simple soldat. »Pour l'honneur de l'intelligence française,les sympathisants du communisme envolésvers Moscou, pleins d'espoir, n'y abandonnèrentpas tous leur conscience. Admis au comitécentral du Parti communiste français, collaborateurde L'Humanité, un Paul Marionramène de son séjour une analyse impitoyable.En 1936, André Gide part à son tour versle pays des Soviets. Anxieux, souvent ballottéentre les extrêmes, naguère proche de 1 'Actionfrançaise, il ramena en 1927 du Congo unVoyage accueilli avec joie par toute la gauchehostile à 1 'administration coloniale.Dès ce moment, il réunit avec Barbusseles conditions suffisantes pour devenir uncompagnon de route en vue, avec évidemmentles avantages matériels et moraux du genre.De Paris à Moscou, les acclamations desAlbert Camus dans Combat du 7 octobre1944 : « L'anticommunisme est le commencementde la dictature. » L'écrivain, qui avaitadhéré au parti communiste en 1935 pour endémissionner l'année suivante, restera un« compagnonde route » jusqu'en 1948.foules militarisées saluent ce grand solitaire. Ila trop le goût de la vérité, celui de son indépendanceaussi, pour s'en satisfaire. Souvent,il reconnaît l'imposture, identifie le mensonge.Il rapporte un Retour d'URSS iconoclaste,accablant pour ses hôtes. Sa franchise l'exposeimmédiatement aux insultes de rigueur. Dumoins y gagne-t-ille respect de la postérité.L'URSS au-dessus de toutEn septembre 1939, la guerre interrompt lessympathiques escapades vers 1 'Est, sauf pour detrès grands privilégiés comme le secrétairegénéral du PCF, Maurice Thorez. Elles reprennentau compte-goutte dès la fin des hostilités.Malgré les ravages de l'invasion allemande, lesbesoins d'une propagande active demeurent.Des récits enthousiastes sur le redressementrusse paraissent ou s'élaborent assez tôt. Parmieux, Georges Soria étonne par sa fringante audace.« Juif d'origine espagnole » selon la noticenécrologique publiée dans Le Monde en octobre1991, il adhéra très jeune au parti communiste.« Lié au Kominform », il séjourna en URSSassez longtemps. Dans son livre Que préparentles Russes ? il évalue son séjour à cinq ans.Expérience personnelle suffisante pour bienconnaître son su jet. Il assure dès la préface deson récit : « Chacun des faits rapportés ici a étévérifié minutieusement. » Voyons donc !Par la force des choses, l'Union soviétiquetrès cruellement éprouvée par la guerre souffrePOINT DE VUED'UN RUSSENON ORTHODOXESi les intellectuels de gauche bienpensantsont rompu avec l'URSS et lemarxisme, ce n'est nullement par l'effetd'une noble indignation lorsqu'ils auraientsoudain découvert, derrière la tribune dumarxisme soviétique, de la boue et desossements (attributs normaux de l'histoire).C'est parce qu'ils ont, enfin, compris unevérité incontestable de portée locale : lemarxisme ne l'emporterait pas dansl'Hospice occidental ! (L'occasion avait étémanquée.)Ayant adhéré au mouvement communisteaprès la guerre, l'intellectuel moyen l'aabandonné assez rapidement pour desmouvements plus à la mode : maoïsme,trotskisme, libéralisme ... Les dissidentssoviétiques vinrent à la rescousse,beaucoup d'entre eux étant des fils deboyards bolcheviques, cibles privilégiées deStaline. Ainsi Elena Sonner, épouseSakharov, fille d'un secrétaire du PCd'Arménie disparu dans une purge.On est étonné de voir les intellectuels,occidentaux ou soviétiques, trouver une joiemauvaise dans l'échec de la GrandeExpérience Russe. Or, la Russie availlamment servi de cobaye au Grand Rêvede l'Humanité sur une Société Communistede Justice. Il serait plus noble de lui entémoigner une reconnaissance affligée.Edward LimonovLe Grand Hospice occidental,Les Belles Lettres, Paris 1993.encore de pénuries effroyables, et même desous-alimentation. Sur le ton du dithyrambe,ou de la suffisance goguenarde, ce nouveautémoin sur mesure n'en aligne pas moins desrecords extraordinaires : « La production de lafonte augmente de 29 % par rapport à 1940,celle de l'acier de 49 % et de laminés 59 % ...L'industrie alimentaire accuse une augmentationgénérale par rapport à 1940 : beurre57 %, huile et graisse JO %, viande 7 %, charcuterie20 %, conserves 48 % ... La productivitédu travail augmente de 27 %. »Dans n'importe quelle économie, il encoûte déjà beaucoup d'efforts pour gagnerquatre à six points de plus en résultats du travail,avec des équipements intacts. Les performancesaffirmées par Georges Soria, au lendemainde l' invasion allemande, défient le sens
NSONGE DES INIEu.EClUELS~LEPROCÈS ~KRAVTCHENKOEn 1947, paraît en France la traduction dulivre d'un inconnu, V.H. Kravtchenko : J'aichoisi la liberté. L'auteur, envoyé aux ÉtatsUnis, en 1943, comme membre de lacommission soviétique d'achats à crédit,avait refusé de retourner à Moscou.Son ouvrage, traduit en vingt-deuxlangues, révélait l'existence des camps deconcentration sous Staline, le génocide despaysans ukrainiens de 1929 à 1933, lesinfernales conditions de vie dans son pays.Les Lettres françaises, journalcommuniste dont le rédacteur en chef étaitClaude Morgan et l'un des chroniqueursattitrés, André Wurmser, lancent contrel'auteur et son livre une violente campagnediffamatoire : Kravtchenko n'est pas l'auteurde l'ouvrage et ce qui y est raconté n'est quemensonges.Kravtchenko porte plainte contre les deuxjournalistes. Le procès correctionnel duredu 24 janvier au 28 mars 1949.Les témoins pour Kravtchenko, unevingtaine de personnes« déplacées ••,vivant dans les zones française, anglaise etaméricaine d'Allemagne, ont été choisisparmi plus de cinq mille volontaires.La mauvaise foi des journalistescommunistes et de leurs avocats crèvera lesyeux, égale à celle de leurs témoins : legénéral Roudenko en uniforme (frère dugénéral qui représentait l'URSS au procèsde Nuremberg), les historiens Jean Baby etJean Bruhat, mais aussi Albert Bayet,Emmanuel d'Astier de laVigerie, Vercors,Louis Martin-Chauffier, Frédéric Joliot-Curie,Jean Cassou, Pierre Cot. Sous serment, tousmentent consciemment. Il déclarent qu'ilsn'ont rien vu en Union soviétique de ce querapporte Kravtchenko, ni le chômage, ni lesfamines, ni les disparitions inexplicables, niles camps. Simone de Beauvoir le traite decrapule et d'escroc.M' Nordmann, l'avocat du PC, s'écrie à labarre: «En URSS? il n'y a pas de prison outrès peu de prisons ... La rééducation d'uncoupable se fait par l'émulation. " Unserrurier ukrainien, cité comme témoin, luirépond : " Dans la Russie de Staline, il y ades centaines de Buchenwald. »Le jugement, favorable à Kravtchenko, futconfirmé l'année suivante, en cour d'appel.L'Affaire Kravtchenko, par Nina Berberova,Actes Sud, 1992,290 pages, 155 F.Traité de« crapule>> et