LA FIN DU PIRE DES MONDESBerlin, en novembre, et de la révolution roumaine,en décembre. Tout cela, bien évidemment,ne peut pas ne pas avoir de répercussionsà l'intérieur même de l'URSS où plusieurspeuples, soumis dans un passé plus ou moinsrécent, aspirent à 1 'indépendance. Les électionssemi-libres de 1989 ainsi que l'effondrementdu communisme en Europe de 1 'Est enflammentles esprits, surtout dans les trois républiquesbaltes, mais aussi en Transcaucasie eten Ukraine. On y voit se dérouler les premièresgrandes manifestations nationalistes, alors que,par endroits, en Lituanie notamment, lanomenklatura communiste saute en marchedans le train de l'indépendance. Par ailleurs, lepouvoir central fait la preuve de son incapacitéà venir à bout des sanglants conflits interethniques,dont le premier, celui du Haut-Karabakh,opposant Arméniens et Azéris, avait éclatédès février 1988.Apparitiondes « rouges-bruns »L'année 1990 est marquée de bout en boutpar le développement et l'accentuation desphénomènes apparus précédemment. L'oppositiondémocrate, menée en Russie par BorisEltsine, se renforce et se radicalise. Dans lesdifférentes républiques, les tendances centrifugesse manifestent au grand jour et lescontre-pouvoirs nationalistes s'affermissent.En parallèle, s'organise en Russie une nouvelleopposition, regroupant, au sein d'un largefront du refus, communistes bon teint et nationalistes(voire fascistes) russes, ayant en communun rejet absolu de la politique gorbatchévienne,des réformes démocratiques et de ladécomposition de l'Empire. Ces « nationauxpatriotes» (que leurs adversaires qualifierontde « rouges-bruns ») se retrouvent au sein deplusieurs organisations et mouvements, dont leplus important et le plus ancien est le mouvement« Pamiat », créé au tout début de la« perestroïka ». L'homme de la rue, en ce quile concerne, est de plus en plus mécontent dumarasme économique, de l'absence de résultatdes timides réformes qui ont été annoncées,des interminables palabres politiciennes. Isolé,contesté dans son pouvoir, voyant sa popularitéchuter de manière catastrophique, Gorbatchevparaît de moins en moins maître du jeu.L'année 1991 commence pour lui sous lespires auspices. En décembre 1990, sonministre des Affaires étrangères Edouard Chévamadzél'abandonne et démissionne avecéclat. Son nouveau Premier ministre, ValentinLe 4 octobre 1993, le président Eltsine fait tirer au canon sur la Maison blanche, siège du parlementde Russie.Pavlov, se lance dans une opération impopulaired'échange des billets de banque qui lèsede nombreux épargnants. Enfin, au mois dejanvier, à Riga, les forces du ministère del'Intérieur (Ornon) montent une provocationqui fait couler le sang.L'État russe de BorisEltsine et le putschde 1991Le phénomène le plus important de cettepériode est, sans l'ombre d'un doute, l'émergenced'un État à part entière qui, sous laconduite de Boris Eltsine s'oppose, directementet pratiquement en tout à l'État soviétiqueque dirige Gorbatchev. Face à son vieilennemi, Eltsine possède deux atouts majeurs :sa grande popularité dans le peuple, qu'il cultiveassidûment et non sans démagogie, et lefait qu'en juin 1991 , il a réussi à se faire élireau suffrage universel président de la Russie.Cette dualité du pouvoir à Moscou même, quel'on retrouve alors à tous les niveaux des institutions,provoque une paralysie quasi totale del'État, les structures « eltsiniennes » n'appliquantpas les décisions de Gorbatchev et deson appareil, et vice versa. En définitive, lessix premiers mois de 1991 sont dominés parune question : l'URSS survivra-t-elle ? Les sixmois suivants apporteront la réponse.Le lundi 19 août 1991 au matin, le mondeentier apprend avec stupéfaction qu 'un coupd'État, organisé par plusieurs hauts responsablesdu régime soviétique, a eu lieu à Moscou.Au nombre des « conjurés » figurent levice-président Yanaïev, le Premier mm1strePavlov, le ministre de la Défense Yazov, leministre de l'Intérieur Pougo, le chef du KGBKrioutchkov, le Président du Soviet suprêmeLoukianov et plusieurs autres personnalités depremier plan. Annonçant à la télévision queGorbatchev est incapable, pour raisons desanté, d'exercer ses fonctions, les putschistesdécrètent l'état d'urgence dans le pays. Lemotif invoqué ne trompe personne. En fait,Gorbatchev a été isolé avec sa famille dans savilla de Foros en Crimée et mis dans l'impossibilitéde communiquer avec le monde extérieur.L'histoire du putsch de 1991 qui, parbien des côtés, produit 1 'impression d'une tragiquepantalonnade, est loin d'avoir été totalementéclaircie. On peut, néanmoins, distinguerplusieurs éléments peu contestables. Toutd'abord, le motif : prévenir la conclusion dunouvel accord sur l'Union, affaiblissant considérablementl'URSS, que Gorbatchev devaitsigner quelques jours plus tard. Ensuite,l'impréparation et l'indécision: les putschistesn'ont manifestement décidé de passer à l'actequ'au tout dernier moment, sans se risquer àemployer la force. Contrairement à cequ 'espéraient les putschistes, Gorbatchev refusacatégoriquement de reprendre à son comptela proclamation de l'état d'urgence. Lesrumeurs malveillantes, distillées notammentpar des amis de Boris Eltsine, selon lesquellesGorbatchev aurait été informé par avance ducoup d'État, ne reposent sur rien. Au contraire,en refusant, au risque de sa vie, de transigeravec les factieux, il les plongea dans le désarroiet contribua à leur faire perdre la partie. Lereste des événements, à savoir la résistance
IN DU PIRE DES MONDESManifestation patriotique devant le Palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg au début du siècle. Le 7 septembre 1991, Leningrad a retrouvé son nom de Saint Pétersbourg.organisée par Eltsine et ses compagnonsautour du Parlement de Russie, la pitoyablereddition des conjurés, la libération et le retourà Moscou de Gorbatchev, est largement connu.La fin piteusedu communismeAinsi, après l'épisode tragi-comique duputsch avorté, on retrouve à Moscou, dès le 22août, un pouvoir à deux têtes. Cependant, cettedualité apparaît d'ores et déjà comme facticeet forcément éphémère. Gorbatchev, affaiblipar la trahison des siens, ne peut plus véritablements'opposer à un Eltsine triomphant etdominateur qui s'attache à démanteler au plusvite les derniers vestiges du régime soviétique.Le couperet de ses oukases s'abat en premierlieu sur le Parti communiste qui est mis hors laloi avec 1 'ensemble de ses institutions satellites.Les autorités russes font main basse surla radio et la télévision. Alors que l'appareilentourant Gorbatchev se délite définitivement,Eltsine reprend pour son propre compte lesnégociations avec les autres républiques del'ex-URSS. Petit à petit, Gorbatchev devientun président sans pouvoir et, plus grave encore,sans pays. L'estocade politique lui sera portéeau mois de décembre à l'occasion de ceque l'on peut considérer comme un coup deforce de Boris Eltsine. Le 8 décembre, sans eninformer Gorbatchev, le Président russeconclut avec ses homologues biélorusse etukrainien l'accord de Minsk qui jette les basesd'une nouvelle Union, baptisée Communautédes États indépendants, et, quelque jours plustard, fait approuver cet accord par ses députés.Le 15 décembre, Boris Eltsine s'installe auKremlin et prive les députés russes au Parlementsoviétique de leur mandat et de leursalaire. Certains d'entre eux se voient physiquementinterdire l'accès au Kremlin. Bref,pour employer l'expression du journalisteClaude-Marie Vadrot, Eltsine inflige à Gorbatchevle plus ancien et le plus cruel des supplicestartares : il l'enterre vivant. Il ne resteplus alors qu 'à mettre le droit en conformitéavec les faits. Au terme de pourparlers entreles deux parties, il est convenu que 1 'URSSdisparaîtra officiellement le 31 décembre.Mais Mikhaïl Gorbatchev préfère raccourcirl'agonie de quelques jours : après une allocutiontélévisée au cours de laquelle il annoncesa démission, il quitte le Kremlin le 25décembre. Aussitôt, le drapeau rouge frappéde la faucille et du marteau qui flottait encoreau-dessus de son bureau est remplacé par ledrapeau tricolore qui fut celui de la Russied'avant 1917. Ainsi se refermait la parenthèsesanglante de 74 ans de communisme russe.VLADIMIR GESTKOFF(!)conception du monde.Il