1LE MENSONGE DES INIELLEC'IUEpart français . On offre au public Faust, LesDeux Orphelines, Fantômas, etc. » À la mêmeépoque, d'autres voyageurs décrivent unpeuple enseveli sous une propagande rudimentaire.Celui-là n'en souffle pas un mot. Enpleine rue, il aperçoit soudain des prisonnierssous escorte ; « on m'affirme que ce sont simplementdes bandits », ajoute-t-il. Après plusieursprojections de Fantômas, pourquoi nepas l'imaginer ?Pèlerins d'une nouvelle« Terre Promise »Rassemblées sous le titre commun La Russienouvelle, ces notes se proposent d'offrir untableau général du pays, où le lecteur ne tomberapas dans « une apologie », ni dans « unréquisitoire ». L'auteur n'en détaille pas moinsamoureusement toutes ses raisons d'espérer.« Au régime de rigueur du blocus et de laguerre civile succède un régime plus souple,plus humain, plus vivant... La Russie commenceà respira >> Dans une ancienne résidenceimpériale, il remarque un portraitd'Alexandre III. La Révolution n'a donc,selon lui,« rien détruit du passé ». Rien !Dans Notre Avant-Guerre, Robert Brasillachraconte comment le concours d'entrée àNormale supérieure s'accompagnait d'unétrange « exercice oratoire >>, qu'il qualified'ailleurs de «fort dangereux >. Les candidatss'y entraînaient à «parler avec aplomb » surtoutes sortes de sujets, même s'ils n'enconnaissaient pas grand-chose, sinon rien dutout. Normalien lui-même, le volumineuxmaire de Lyon sait comment s'y prendre pourpresser les mots, afin qu'ils rendent l'impressionvoulue. Le thème d'un communismeapaisé, raisonnable, soutient son livre d'unbout à l'autre. Il ne peut pour autant se bomerà séduire une gauche déjà presque acquise àses thèses. Il lui faut enjoler aussi cette bonnevieille droite conservatrice, demeurée sentimentalementfidèle aux souvenirs des Romanov.Or, quatre ans plus tôt, les bolcheviquesont proprement exterminé le Tsar et sa famille.Exploit peu propre à les rendre sympathiquesaux abonnés du Figaro (1).Sans trop d'embarras, notre parlementairede grande culture élabore assez vite la manière.Malgré son anticléricalisme vigoureux, sonrépublicanisme sans inquiétudes, il s'émerveillede ce qu 'au-dessus des bulbes du Kremlin,les communistes laissent « subsister lescroix comme les aigles >> de J'Empire. La visitedes appartements où Nicolas II vivait naguèreL'affectueux maréchal Staline au temps de sa toute-puissance, tel que se le représentait une bonnepartie de l'intelligentsia occidentale.avec sa femme, ses enfants, l'émeut davantageencore. « Dès le seuil, on se rend compte queNicolas II aimait notre pays >>, murmure-t-il, aubord des larmes. Des coups de baïonnetteslacèrent encore un portrait de l'Impératrice.Après ce déplorable incident, les profanateursont, selon lui, « laissé ou du moins remis touten place : .les porte-plumes, les crayons, unbloc-notes ... Une boÎte à musique fonctionnetoujours ,- nous la mettons en mouvement :d'une voix grêle et comme lointaine, elle chanteLa Marseillaise ... Il semble vraiment quel'Impératrice va revenir et qu'elle irareprendre sa place favorite dans l'angle dusalon ... Non, cet appartement impérial n'estpas luxueux. >> Pour un peu, les soldats rougesen sentinelles aux portes sangloteraient presquesur son épaule, devant ces souvenirs princiers,comme n'importe quel garde blanc du généralDenikine!Certes, Herriot n'oublie pas plus qu'unautre le massacre d'Ekaterinbourg. « Quoi deplus inutilement atroce que l'exécution sansjugement de la famille impériale ? >> demande+il, dans une formule quand même assez malheureuse.En effet, personne n'imagine commentle verdict après« jugement » d'un tribunalde circonstance aurait rendu plus acceptable1 'assassinat du tsarévitch et de ses sœurs.Au fond, Je bilan qu 'il propose lui-mêmeapparaît à notre politicien « prématuré >>. IlL' ANTI-SARTRESi la révolution communiste n'est pas lamort, la terreur et l'esclavage pour desmillions d'hommes, alors nous avons mentiou nous nous sommes trompés, et nouspouvons faire pénitence. Mais si larévolution communiste est bien, pour desmillions d'hommes, la mort, la terreur etl'esclavage, alors il faut crier, il ne faut pass'arrêter de crier, et peu importe celui quicrie, et peu importe si celui qui crie a ounon, lui même quelque chose à cacher. S'il ya effectivement quelque part les cadavres deKatyn, les cadavres des révoltes paysannes,les cadavres des compagnons de Lénineexécutés, les cadavres de tous ceux qui sesont opposés à la marche de la révolutioncommuniste, les cadavres qui marchent etrespirent encore du Goulag,- s'il y aquelque part des cadavres, nous nepouvons pas admettre qu'on vienne nousdire «Ce n'est pas la question». Car si cen'est pas là la question, je le demande,qu'est-ce qui sera la question ?THIERRY MAULNIER"La Face de méduse du communisme "•articles parus de 1948 à 1951.Gallimard, 1951, p.44.
NSONGE DES INIEil.EClUELS«UN PASSÉ IMPARFAIT. LES INTELLECTUELSEN FRANCE 1944-1956 »PAR TONY JUDTOn avait oublié ce que fut l'imposture, leridicule et l'abjection des plus célèbresintellectuels français des années 1950,dégoulinant de servilité devant l'URSS alorstoute puissante. C'est un voyage cruel au boutde cette nuit-là qu'a effectué Tony Judt,universitaire britannique exactement informédes petits et grands travers de l'intelligentsiafrançaise. On ne peut relire aujourd'hui sanseffarement ni dégoût les écrits où Sartre,Aragon, Merleau-Ponty et beaucoup d'autresmaîtres à penser, se prévalant d'une Résistancequ'ils avaient peu faite, ont façonné l'espritpublic tel qu'il survit encore, malgré le piteuxeffondrement de l'idole communiste.Il est dommage que Tony Judt ne parlepratiquement pas des seuls écrivains qui, à côtéd'estimables libéraux comme François Mauriac,Jean Paulhan ou Raymond Aron, furent, en cetteépoque de bassesse, l'honneur des lettresfrançaises. Thierry Maulnier, Jacques Laurent,Roger Nimier, Jules Monnerot, Paul Sérant, JeanAnouilh, Louis Pauwels, Jacques Perret ne sontparfois pas même cités.Cette réserve faite, Tony Judt, qui maniel'ironie mordante, offre sans nul doute l'analysela plus complète et la plus impitoyable duterrorisme intellectuel au temps du stalinismetriomphant. Faut-il suivre l'auteur dans satentative d'explication ? À ses yeux, l'absencede tradition libérale et d'impératif moral chezles intellectuels français fournirait la clef del'ajourne donc jusqu'à des temps meilleurs. Àcourt terme, 1 'essentiel consiste pour lui à cequ '« entre les bolcheviques et nous » se dégage« une reprise d'activité franco-russe ».En précurseur, le maire de Lyon suggèrede la sorte aux capitalistes français d'investiren Russie, au risque d'aider un gouvernementen opposition doctrinale absolue avec le capitalisme.L'exquise formule ! Elle fournirad'ailleurs de précieux concours à d'innombrablessatellites de l'URSS et fonctionnera,soixante ans d'affilée, jusqu'à la mort de LéonidBrejnev.En ces mois de 1922 où La Russie nouvellesort en librairie, le Bureau central du Partisocialiste russe réfugié en France édite, sous letitre Tchéka, des révélations précises, accablantes,sur les crimes perpétrés par Lénine etles siens, sur les vastes territoires qu 'ilscontrôlent. Pour ne prendre qu 'un exemplepanni des centaines d'autres, ils massacrentnon plus les seuls aristocrates, les bourgeois,mais des milliers de prolétaires dans la régiond'Astrakhan. Pendant quelques mois, desl'énigme. Il serait facile d'objecter que, la modeaméricaine succédant à la mode soviétiquedans les années 1980-1990, on a vu triompherchez les anciens staliniens reconvertis dansl'antiracisme, à la fois l'idéologie libérale etl'invocation de la morale. On ne voit pas quecela ait modéré chez eux le goût sadique de lachasse aux sorcières. Il faut donc chercherailleurs, et pourquoi pas dans l'histoire ? LaFrance ne s'est jamais vraiment remis de laguerre civile endémique qui sévit depuis 1789et connut un retour paroxystique en 1943-1944.Une réalité que n'a d'ailleurs pas négligéel'universitaire anglais. Les pages qu'il consacreau sort de Robert Brasillach sont exemplaires.Aux causes historiques, ne faut-il pas ajouterun travers intellectuel qui a sans doute aussi sasource dans l'histoire, l'esprit de systèmetypiquement français qui peut transformer touteidée- fut-elle morale et libérale- en machineabsurde, voire meurtrière ? Tony Judt, en a eul'intuition dans ce livre important qui invite àbien des réflexions.DOMINIQUE VENNERUn passé imparfait. Les intellectuels enFrance 1944-1956, par Tony Judt. Fayard, 404pages, 160 F.Rappel sur le même sujet : Pierre Rigoulot,Les Paupiéres lourdes, Éditions Universitaires,Paris 1991. Voir aussi Paul Johnson, Le GrandMensonge des intellectuels, vices privés etvertus publiques, Robert Laffont, Paris 1993.révélations semblables discréditent les Soviets.Guère plus longtemps ! Après tout, de droitecomme de gauche, les émigrés accourus deMoscou ne sont pas « cubistes ».À son insu peut-être, Édouard Herriotinaugure le genre littéraire nouveau du voyageen Russie rouge. Après lui, jusqu'aux alentoursde 1985, cette spécialité inspirera desauteurs innombrables avec Henri Barbusse,Romain Rolland, André Malraux, Aragon etElsa Triolet, Alfred Fabre-Luce, GeorgesCogniot, Georges Soria, le couple Jean-PaulSartre-Simone de Beauvoir, etc.D'une manière générale, les pèlerinscurieux de connaître la nouvelle Terre Promiseappartiennent au parti communiste entièrementacquis à la cause révolutionnaire, ou figurentparmi les compagnons de route disposés à luireconnaître toutes les vertus possibles àquelques réserves près, d'ailleurs toujours insignifiantes.Pour les uns comme pour lesautres, 1927 ouvre un âge magique. L'apparemmentvigoureuse URSS atteint ennovembre son dixième anniversaire. Désor-mais reconnue par les grandes puissances, elleinvite à Moscou des étrangers illustres. Lessolennités commencent néanmoins dansl'équivoque. Une crise intérieure grave diviseentre eux les héritiers de Lénine. Staline affermitson pouvoir, avec le concours des bureaucratesnantis, contre les trotskistes fidèles auxirréalisables idéaux de 1917.Malgré le vocabulaire marxiste toujours enusage, les amis du dehors n'entendent généralementpas se compromettre avec des doctrinairesmenacés de perdre leurs places. JacquesSadoul susurre ainsi, à l'oreille de l'irréductibleVictor Serge, l'œil sur les reins de jeuneset jolies déléguées hindoues : « Regardez cesformes, cette grâce. » Le système ne retientdéjà plus des jouisseurs de cette sorte qu'enfonction des avantages personnels qu'il leurgarantit. Parmi ces roués, le cas particulierd'Henri Barbusse mérite l'attention.Henri Barbusse,l'hypocrisie mêmeÉcrivain de médiocre renom jusqu'en1914, il s'engage au 35' régiment territorialdès les premiers jours du conflit. En 1916, ilpublie Le Feu, ouvrage misérabiliste sur la viedes soldats au front, obtient le Prix Goncourtet une large notoriété. Dans sa critiqued'ensemble, sur la littérature des tranchées,qu'il publiera en 1929 sous le titre Témoins, leconsciencieux mais implacable Norton Cruporte sur l'œuvre de Barbusse un jugementtrès sévère. Pour lui, cet auteur peu recommandable« se trompe sciemment » sur ce qu 'ilrapporte. Son « imagination chimérique ... adéformé >> bien des choses. Frère en esprit deNorton Cru, par une intransigeance commune,Victor Serge rapporte dans ses Mémoiresqu 'en 1927, Barbusse loge au très confortablehôtel Métropole, à Moscou. La dictature lepourvoie également d'« une fort jolie secrétaire-poupée>>. Du balcon, il admire les réalisationsdu régime, sans trop se soucier desavoir si, à deux ou trois cents mètres de latable où il déjeune en boyard, les ouvriersmangent à leur faim. « J'étais devant l' hypocrisiemême >>, affirme encore Victor Serge àson sujet.Peu après, Barbusse rentre en France avecdes fonds importants fournis par le SecoursRouge international. Ils servent à lancer unepublication favorable à Staline. Bon connaisseurdes faiblesses humaines, cetui-ci avaitflairé qu 'il s'attacherait bien des « intellectuels »occidentaux s'il flattait leurs dispositions vani-1