20.07.2015 Views

1 - Relier

1 - Relier

1 - Relier

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Esthétiquement, les aires d’accueil des gens duvoyage produisent l’effet inverse du jardin dans laville. La dissonance de ce parc urbain posé au cœurd’un cadre de nature ne laisse pas indifférent et rendparfois difficile son appropriation non seulementpar les usagers mais également par les collectivitéselles-mêmes. On peut dire que la séparation (géographique,humaine et sociale) y est de rigueur,étayée par les discours égalitaristes qui prônent lesacro-saint droit commun pour refuser la mise enplace d’actions socio-éducatives sur ces sites, arguantde leur effet néfaste sur l’équité républicaine.Dépourvues de toute espèce d’attractivité (si cen’est l’accès aux réseaux publics) ces aires dédiéesà l’exercice du mode de vie en habitat mobile deviennentparfois des poches de non-mobilité, pourne pas dire des «culs-de-sacs» sociaux. La pénuriede ces équipements sur l’ensemble du territoireconjuguée à la menace d’expulsion qui pèse sur lesfamilles en dehors de ces sites aménagés génèrentdes stratégies d’appropriation des aires d’accueilpar certaines familles (paiement d’emplacementslaissés vacants le temps d’un déplacement car nevoulant pas se retrouver sans solution d’accueil àleur retour, transmission d’emplacements au seind’un même groupe, occupation annuelle des airespar celles n’ayant plus les moyens ou l’énergie depratiquer le voyage…). Lorsque la présence tsiganene se renouvelle pas, lorsque la circulation n’aplus sa place sur ces aires, les pouvoirs publics s’enmêlent en réactivant la mobilité comme principeconditionnant l’existence de ces lieux. C’est en celaque l’aire d’accueil est bien le terrain des «Gadjé» :elle est voulue, conçue, construite et gérée par eux.La présence tsigane sur ces aires est un compromis.Un compromis temporaire ? Nous savons que bienqu’une partie des Tsiganes esquive ces lieux quandils le peuvent, que ce soit l’été avec les grands passages20 ou l’hiver sur des terrains privés. Les airesd’accueil ne détiennent pas le monopole de laprésence tsigane dans le monde des Gadjé. Parcequ’elles fonctionnent selon un principe exclusif(qui va à l’encontre de la logique égalitariste républicaine),elles participent d’une forme de mise enscène et de visibilité tsigane assortie à la motorisationde leur mode de vie entamée dans les années1960. Le fait que les camping-caristes subissent aujourd’huile même sort vient questionner l’impactsymbolique qu’induit la vue de ces habitats «déconnectés»ou «autonomes» dans le paysage.Alors que la mobilité est une valeur, voire une réalitéchoisie par certaines classes sociales plutôt élevéesde notre société, la légitimation de l’habitat mobilepasse par des cadres figés construits à partir du modèledu «parc» dont la fonction muséologique (oughettoïsante) ne se prête pas toujours à la fluidité, dumoins la réactivité, inhérente au mode de vie nomade.La patrimonialisation opérée sur le mode de vie des«gens du voyage» consiste pour le moins en unefausse reconnaissance et peut être suspectée de dénégationdans la mesure où elle ne s’incarne que dans cequi limite l’exercice de leur mode de vie (les titres decirculation ou les aires d’accueil). L’identification et lareconnaissance publique des gens du voyage s’opèresur les inventions des Gadjé pour les contrôler. Mêmesi les Tsiganes s’en servent pour communiquer au sujetde leur présence et de leur distinction des Gadjé,c’est moins dans l’habitat que dans le mode de viestricto sensu que l’on déniche les dimensions culturellesles concernant. Les aires d’accueil, comme lescaravanes, sont des éléments exogènes qui «circulent»dans leur univers, du moins avec lesquels ilscomposent. Patrick Williams 21 nous rappelle queles Manouches offrent un autre modèle de patrimonialisationque celui des Gadjé. Plutôt que defixer dans le paysage ou la mémoire collective deséléments emblématiques de leur identité ils en préfèrentla destruction afin de conjurer le détournementd’usage dont ils pourraient faire l’objet. La caravaneou la verdine qu’ils utilisent tout au long de leur vie nedevient vraiment «objet manouche» qu’au momentoù elle est brûlée par l’entourage du défunt à qui elleappartenait. Plus qu’un objet culturellement codé,l’habitat mobile est un réservoir d’intimité qu’il fautapprendre à contenir, tout en l’aérant, sans jamaisnégliger le regard d’autrui qu’il convoite en permanence.Ceux pour qui l’habitat mobile relève d’unchoix et non d’un héritage collectif (comme les gensdu voyage) vivent de plein fouet ce revers de l’expositionau «grand public». Il n’est pas exclu que la valeuret l’importance qu’ils accordent à la dimensiondu «choix» dans leurs discours procède avant toutd’une stratégie de retournement du stigmate associéà ce mode de vie, indépendamment des motifs quiont conduit à l’adopter. Il en ressort, dans tous les cas,un positionnement fort de l’individu face à la normeet des stratégies de défense et de revendications qui seconstruisent aussi collectivement.20- Cf. Gaëlla Loiseau, Les grands passages. Une formed’itinérance alternative à la spatialisation des gens du voyage,Le sociographe, 2009/1 (n° 28), pp 13-26.21- P. Williams, Nous on n’en parle pas. Les vivants et les mortschez les Manouches, Edition de la Maison des sciences del’homme, Paris, 1993.25

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!