Mais comment assurent-ils leur quotidien, dequoi vivent-ils ? Fab’ nous répond sans ambages :«Niveau bouffe on fonctionne avec de la récup’ dans lespoubelles. On a les poubelles d’Inter, de Lidl… On arrive,elles sont toujours pleines… On se fait des grosses bouffes.On nourrit aussi tous les animaux avec ça d’ailleurs. Onmange aussi nos animaux, nos poules et voilà… Et onfait notre jardin, l’été… Bon, on ne se nourrit pas beaucoupavec nos légumes… Il y a plein de terres polluées».On imagine bien que dans ces conditionson ne peut pas se permettre de boire n’importequelle eau. Heureusement, le site bénéficie del’eau de ville. «C’est les copains il y a quelquesannées qui se sont cassés l’cul à creuser la tranchéepour les tuyaux jusqu’au GFA, du coup on a unedouzaine de points d’eau», raconte Léo. Chacun,ou plutôt chaque habitat paie 15 €/mois 7 pourpayer les factures, l’entretien, et les éventuelles réparations,notamment à cause du gel. La sommerécoltée est en général supérieure au coût réel,ce qui permet d’alimenter une cagnotte pour lesinvestissements collectifs de La Mine. Et quand«des gens n’ont pas de sous ? […] Toujours pareil :Tu ne peux pas payer ? Ce n’est pas grave, on ne vapas leur filer un coup pied au cul en leur disant ‘‘fautdégager !’’», répond Fab’ en riant.Et l’énergie ? Une installation solaire sur uncamion fournit de l’électricité toute la journéeà qui veut bien se brancher. Quand il n’y a plusde soleil, chacun se débrouille, certains ont desbatteries, d’autres des groupes électrogènes (quiservent collectivement en général).Mais ils ont aussi besoin d’argent, le RSA (àpeine plus de 400 €/mois) ne suffit évidemmentpas, et surtout, ne leur convient pas, le collectifs’organise. Une équipe, il y a quelques années, afondé une brasserie, aujourd’hui une productionde plusieurs milliers de litres de bières. Chacunest invité à participer, mais les responsables sontbien identifiés. «C’est leur délire au départ, nousdit Léo. Après on est là, mais c’est leur délire». «Audépart, confirme Sylvie, c’est eux qui ont tout cuisiné,la bière familiale, en petite quantité. Et puisils se sont rendus compte que c’était facile à faire. Etils ont lancé cette petite production». La bière estécoulée lors de fêtes et pendant les foires du coin,«mais pas sur les marchés, précise Sylvie, vraimentlors de manifestations en tout genre. Et puis les gensils préfèrent boire des bières artisanales». «L’ateliersjus est un projet plus récent porté par une nouvelleéquipe; Une idée est lancée, elle agglomère dumonde ou non. Celle-ci à pris corps, et la productionà augmentée rapidement ( un peu plus de 1000 bouteillesl’annéel’année dernière, 2000 cette année).Ils dégagent ainsi quelques bénéfices, fonds immédiatementspensés comme des possibilitésd’investissements, des aides et des rétributionsaux particuliers (les plus démunis et ceux quise sont le plus engagés dans le projet). «Pourceux qui ont des problèmes de RSA, raconte Sylvie,[on pensait] filer peut-être des salaires, des chèquesemplois ; d’autres ils partent avec leur jus… Enfinl’idée de base c’était d’investir dans les projets personnels; pour ceux qui se sont vraiment investis dansl’atelier jus et [qui ont donné du] temps qu’ils auraientpu passer ailleurs. Plutôt que de l’argent, dessalaires ou quoi, on leur achète un panneau solaireou autre chose, un truc personnel tu vois. […] Unp’tit confort dans leur vie». «Et tu vois, témoigneLéo, si j’avais besoin d’une vraie machine à coudrepour l’atelier cuir, et bien je pourrai demander à cequ’on m’aide pour financer cette putain d’machine».Et concrètement, comment s’organisent-ils ?Fab’ s’empresse de répondre : «En soirée, on sevoit : ‘‘Tiens on a décidé d’aller travailler mardi ?’’On voit si tout le monde est d’accord. Et si un mecn’a pas envie d’y aller il n’y va pas, on ne lui en tientjamais rigueur, c’est pas du tout… Il n’y a aucuneobligation. On ne veut pas ça quoi. Après, le mieux,c’est quand il y a du monde pour aller travailler. Lesgens viennent aussi pour l’ambiance du travail. Onbosse, on mange à midi, on boit des canons… C’estsympathique. Alors forcément on a envie d’y aller,plus que d’aller à l’usine. C’est à nous de motiver lesgens, c’est à nous de les motiver. […] Après t’es fierdu travail accompli et ça te motive encore plus…»Et Fab’ de poursuivre avec enthousiasme, «letruc pour l’année prochaine c’est le bois. Vu qu’ona coupé vachement de bois, l’an prochain on vavendre du bois, ça fera des sous pour le GFA et pourl’asso’ La Mine. […] Le bois est coupé dans les terrainsdu GFA, ou dans les vergers, là bas en bas, vuqu’on éclaircit… Du coup il nous reste de l’argentpour le matériel, pour les ateliers…. Tu vois si ona besoin d’un véhicule, une pelleteuse pour faire lestoilettes sèches, pour creuser des caniveaux… Dèsqu’on a des ronds c’est pour investir dans le GFA etLa Mine de toute façon. Au final, tout profite toujoursà tout le monde même si chacun a ses trucs àpart, ça profite à tout le monde».«...Au final, tout profite toujours à toutle monde même si chacun à ses trucs àpart, ça profite à tout le monde»Et les fêtes, ça rapporte ? Même pas. Là n’estpas l’objectif. L’important est de faire corps, deprendre possession des lieux, de faire vivre le site,d’avoir une influence festive et culturelle. L’argentest ici accessoire, «On prête le terrain et c’est les gensqui [organisent]. Donc ça leur coûte de l’argent à eux.Nous, en général on ne demande rien ou une petiteparticipation. Non, les seules rentrées qu’on a, c’est lescotisations des adhérents, et pour l’eau. Et […] on récupèreles sous de la ferraille. Enfin voilà quoi».7- Ceux qui laissent leur véhicule sont censés payer 5 ¤/mois.61
62Des pratiques « autonomisantes »ou une recherche d’indépendance ?Arrêtons-nous un instant sur cette autonomie.C’est bien le terme à la mode non ? 8 Cet articleest même pompeusement titré «pratiquesautonomisantes», rien de moins. Pourquoi cetaparté ? Plus le vocabulaire est précis, plus notreréflexion et notre image du monde est précise. Etde mon point de vue, le mot indépendance siedmieux à ce genre de situation, et on parlera aisémentd’indépendance financière, alimentaire,énergétique. Quant à l’autonomie, autant garder àce vocable son sens premier, ô combien plus richeque le simple faire par ses propres moyens quis’arrête, en quelque sorte, au début du mot. En effet,autonomie, étymologiquement, vient du grecauto, soi-même, et de nomos, la loi. Est donc autonomecelui qui est capable d’élaborer sa propre loi,autrement dit de s’interdire certaines choses, des’autolimiter. 9 Au sens premier, l’autonomie résideplus dans la renonciation à certains désirs qu’à leurlibre cours. Etre autonome, c’est, sans se mentir àsoi-même, se placer sous la haute autorité de la loique l’on s’impose. C’est le travail d’une vie.Dans la même idée, une société démocratiqueautonome est un ensemble d’individus qui instaureet qui sait qu’il instaure ses propres lois, valablespour tous. Une telle société doit donc admettre lacontingence ultime de toute signification. Cela signifie(et c’est vertigineux) que la société devenueautonome reconnaît que les valeurs, les normes,les lois, les institutions qui régissent le vivre ensemblesont uniquement le fruit d’elle-même, lefruit des hommes et des femmes qui la composent,et non d’un quelconque ordre transcendantplus ou moins divin. La loi, la morale, sont enfincomprises pour ce qu’elles sont, des productionshumaines, un discours que les Hommes élaborentpour se positionner dans le monde, s’organiser,et justifier leurs choix existentiels. Elles ne sontdonc pas sacrées, et par conséquent modifiables,périssables et éternellement interrogeables. Estautonome une société qui encourage les citoyensà respecter la loi parce qu’ils l’estiment légitime,juste et utile à l’intérêt général, et à refuser d’obéirà la loi uniquement parce qu’elle est loi. A ce titre, ilen découle qu’une théocratie ne saurait être autonome,ni d’ailleurs une société qui suivrait les loisdu Marché, les lois de l’Histoire, de la Nature, desAncêtres, de la Tradition etc.Enfin, l’Homme est un animal social, politique,et les humains sont interdépendants, c’est un lienpuissant. 10 L’autonomie individuelle n’a donc d’intérêtqu’en fonction de l’idée que l’on se fait du«vivre ensemble». Le concept d’autonomie s’étoffe etdevient volonté et capacité à se fixer sa propre loi enadoptant des principes compatibles avec l’universalismedes droits, et la liberté reconnue à chacun de sedéfinir, sans subir d’allégeance obligée à une religion,un dogme, à un groupe etc. On n’est pas arrivé… 11Mais arrêtons là les discours de bibliothèque,qu’en pensent les personnes concernées, quemettent-elles derrière ce vocable ?Comme pour beaucoup de concepts courants,on a l’impression de les comprendre tant que l’onne s’est pas vraiment interrogé sur leur signification.L’exercice n’est pas si facile, Léo se lance :«Même si je ne sais pas trop, c’est ne plus avoir besoinde leur système, ne plus avoir à participer et se débarrasserde ce putain de RSA même s’il nous file à mangertous les jours. […] C’est sûr on a besoin de ce systèmepour communiquer pour tout ça, ces conneries,on a besoin de ça…» A l’évidence, être dépendant«du système» les dérange. Certains se sententmême tenus en laisse, en tout cas redevables. Ilssont mal à l’aise avec ça, un peu comme si la redistributiondes richesses et la solidarité nationaleétait de la charité, une aumône. 12 «C’est pour neplus être assisté par le système, confirme Fab’. Cen’est pas […] que je suis contre le système, c’est bienle RSA, je suis pour, et heureusement qu’il y est là sinonil y en aurait plein qui mourraient de faim. C’estpas du tout pour ça, c’est vraiment parce que pourmoi, j’estime que je peux laisser ma part à celui quien a plus besoin. Moi j’arrive à me démerder tout seulen fait. […] Ce n’est pas du tout contre le système,le système j’en profite tous les jours de toute façon,alors ce n’est pas possible». Quant à Sylvie, elleentend «l’autonomie dans le sens ‘‘liberté’’. Libertédans le sens ‘‘tu vas travailler quand tu veux’’. Tu eston ‘‘propre patron’’, ça amène d’autres contraintesmais… T’as une mission à accomplir, tu la faisquand tu veux, tu la fais quand tu le sens et voilà.[…] L’autonomie c’est plutôt ça, choisir quand j’aienvie d’y aller et quand je n’ai pas envie».«l’autonomie dans le sens ``liberté’’...»A les entendre, leur revendication principalen’est pas d’ordre philosophique ou de politiquegénérale. Et comme dit Fab’, «ce n’est pas moi toutseul qui vais juger tout seul le système. Je n’suis pasassez calé pour pouvoir vraiment critiquer tels outels trucs. Tu vois des fois j’entends des explicationset j’m’aperçois qu’en réalité j’étais loin du compte.Je me permets donc pas trop de juger le système».Apparemment, mais j’interprète, ils reconnaissentplus ou moins et sans pour autant le formaliser,la nécessité d’un Etat, de pouvoirs publics,ce qu’ils nomment souvent «le système», mêmes’il ne leur convient pas. Ce qu’ils rejettent en revanche,à coup sûr et avec force, c’est le salariatet un certain cercle vicieux que nous expliqueFab’ : «Ce n’est pas le fait de travailler. […] C’esttravailler sans aucun mérite. […] T’as jamais lareconnaissance de ton travail. [Le salariat] c’est‘‘on te prend, on te jette, on te laisse tomber. […]En plus quand tu entres dans ce système, tu te metsà payer des impôts, un appart’, un loyer, tu as cià payer, t’as ça. Puis il te faut une voiture pour allertravailler… Et après tu rentres dans un truc…
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