Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
• ..<br />
REPORTAGE: CINQ JOURS DE «GUERRE DES VILLES»<br />
Té4çran, cité-fantôme<br />
Sous la propagan<strong>de</strong>: la peur, le<br />
dégoût. lA photoreporter<br />
Danielle Maillefer revient<br />
d'Iran, qu'elle a sillonné avec<br />
<strong>de</strong>s journalistes d'une part, <strong>de</strong>s<br />
Mé<strong>de</strong>cins du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> /'autre.<br />
vous qu'apr~s l'horreur d'Halabja les<br />
gran<strong>de</strong>s puissances vont faire quelque<br />
chosepour nous? s'enquièrent-ils. Que<br />
répondre?<br />
Le surlen<strong>de</strong>main nous avons ren<strong>de</strong>zvous<br />
avec l'autre fraction <strong>kur<strong>de</strong></strong>, le PDK<br />
(Parti démocratique .l5l&L<strong>de</strong>). Un missile<br />
explose quelques minutes avant notre<br />
arrivée dans la petite ville <strong>de</strong> Karaj, à<br />
l'ouest <strong>de</strong> Téhéran. Panique dans lesrues,<br />
les cabines <strong>de</strong> téléphone sont prises d'as.<br />
saut. Sur le visage <strong>de</strong> chacun se lit l'an-<br />
Téhéran, 9 h IS. une double goisse <strong>de</strong> ne pas savoir. «Ai-je un enfant,<br />
explosion. Immédiatement le un parent, un ami sous les décombres?taxi<br />
s'arrete. Avec la foule <strong>de</strong> la Karaj n'avait encore jamais été la<br />
rue <strong>de</strong>venue silencieuse, nous cible <strong>de</strong> missiles. Mais ce jour-là, la<br />
scrutons le ciel. Un petit nuage étiré qùi route menant à la mer Caspienne n'est<br />
s'évanouit au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nous confirme qu'un long chapelet <strong>de</strong> voitures bien<br />
notre angoisse. Quelque part dans la <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> poudre n'a pas<br />
ville, pas très loin, un nouveau missile atténdu 1992.<br />
vient <strong>de</strong> faire sa ration <strong>de</strong> morts et <strong>de</strong> «Des armes pour l'lran>>,fruit d'une<br />
blessés. «C'est la roulette russe., COm- année d'enquête menée par<strong>de</strong>uxjournamente<br />
tristement Michel, pourtant listes, l'un belge, l'autre français, ainsi<br />
grand habitué <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> conflits que le dossier <strong>de</strong>s douanes suédoises,<br />
dans le mon<strong>de</strong>.<br />
accessible au public, racontent par le<br />
Ici il n'y a pas <strong>de</strong> «front». pas <strong>de</strong> ~.... menu les troubles activités <strong>de</strong> ce club<br />
-<br />
«zones dangereuses-, nous sommes<br />
«dans- la guerre, la guerre <strong>de</strong>s villes<br />
comme on l'appelle.<br />
Voilà trois jours que nous avons atterri<br />
dansce pays.J'accompagne<strong>de</strong>ux docteurs<br />
<strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cins du mon<strong>de</strong>: Hans Schulz, <strong>de</strong><br />
Berne, et Michel Gillet, <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux. Je<br />
suiségalement invitée,enqualité <strong>de</strong> reporter,<br />
à me joindre au groupe <strong>de</strong> la presse<br />
internationale convié à constater<br />
«l'agression <strong>de</strong> l'Iran par l'Irak».<br />
Halabja! Ce mot est dans toutes les<br />
bouches en Iran <strong>de</strong>puis que l'Irak a lâché<br />
plusieurs bombes chimiques sur cette<br />
ville <strong>kur<strong>de</strong></strong>. Des milliers <strong>de</strong> blessés et <strong>de</strong><br />
morts. Pcndant quatre jours, les mé<strong>de</strong>cins<br />
visitent les hôpitaux où l'on soigne<br />
les gazés, s'entretiennent avec les mé<strong>de</strong>cins,<br />
les mala<strong>de</strong>s. Une surveillance contio""<br />
<strong>de</strong>s propos du personnel hospitalier<br />
n;nd l'évaluation <strong>de</strong> la situation très<br />
difficile. Les mé<strong>de</strong>cins QCci<strong>de</strong>ntauxs'ire<br />
ritent. Il ya une forte pression politique<br />
pour que le corps médical condamne<br />
l'Irak. «Un mort, c'est un mort <strong>de</strong> trop,<br />
commente le D' Hans Schulz, mais, la<br />
surencMre concernant le nombre <strong>de</strong><br />
blessés et <strong>de</strong> morts laisse un goat amer<br />
dans ia bouche. C'est utiliser le drame<br />
I<br />
pour la propagan<strong>de</strong> .•<br />
Le Dr Michel Gillet, directeur du Mercredi6auil- Dansunhôpital'<br />
Centre d'étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> recherche en épidé- <strong>de</strong>Téhfran,ledocteurHansSchulz,<br />
miologie et en catastrophe, en France, <strong>de</strong>Mé<strong>de</strong>cinsdumon<strong>de</strong>,ausculteunbébé,<br />
'tente, en vain, <strong>de</strong> connaitre le système ,ictime<strong>de</strong>sbombeschimiquesur Halabja<br />
d'évacuation <strong>de</strong>s blessés, les expériences<br />
pouvant servir ailleurs: peine perdue.<br />
Tout est parfait, trop parfait, le dialogue<br />
est impossible.<br />
Schulz et Gillet, <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cins du<br />
mon<strong>de</strong>, s'inquiètent. Ils sentent que<br />
cette sale guerre va continuer, et ceux<br />
qui en paieront le prix seront les Kur<strong>de</strong>s.<br />
Longuement un soir, <strong>de</strong>s lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong><br />
l'UPK (Union patriotique <strong>kur<strong>de</strong></strong>) par-<br />
Ient, retenus et passionnés tout à la fois. ~<br />
L'un d'eux, mé<strong>de</strong>cin, précise l'ai<strong>de</strong> dont Mercredi6 avril- Dansunh&pitaldusud<br />
son peuple a besoin. Il faut un hôpital en <strong>de</strong>Téhéran,Cetteramille,ient <strong>de</strong>perdre<br />
zone libre, il faut surtout un chirurgien. lepèreet<strong>de</strong>uxenrantsdansl'explosion<br />
Et il faut que le mon<strong>de</strong> témoigne du droit<br />
d'unmissile<br />
à l'existence du peuple <strong>kur<strong>de</strong></strong>. «Croyez-<br />
1.:i7- •<br />
110'<br />
Manli5 arril- Les ramillesdépensent<br />
<strong>de</strong>s fortuaes pour ,irre clanslesgrands '<br />
lIItels el Wloa,plusrésistantsaux missiles<br />
~ ~<br />
Jeudi7 arril- UD jeunehomme,ictime<br />
<strong>de</strong>sbombeschimiques.Il peut murmurer<br />
maispas bouler<br />
d'un genre particulier. Apparemment<br />
rien <strong>de</strong> bien grave: le cartel s'entend SUI<br />
les prix et les membres se donnent <strong>de</strong>s<br />
coups <strong>de</strong> main, notamment pour faire<br />
l'appoint lorsque une entreprise ne peut<br />
pas livrer une comman<strong>de</strong> trop importante.<br />
La SSE jouera parfaitement le<br />
jeu, comme le prouvent les documents<br />
saisis chez Lundberg.<br />
Mais les papiers du Suédois, aujourd'hui<br />
inculpé <strong>de</strong> contreban<strong>de</strong> et d'exportati~n<br />
illégale <strong>de</strong> ma t~riel <strong>de</strong> guerre,<br />
t~ahl~sent la véritable nature <strong>de</strong> l'organasatlon,<br />
celle d'un réseau <strong>de</strong>stiné à<br />
contourner l'embargo officiel <strong>de</strong> toute<br />
livraison d'armes et <strong>de</strong> munition à l'Iran<br />
et à l'Irak, embargo décr~té par nombre<br />
<strong>de</strong> pays européens. Comment? Tout<br />
simplement en faisant transiter les<br />
matières explosives, dont le pentyl, par<br />
d'autres pays présentés comme les <strong>de</strong>stinataires<br />
finaux.<br />
Exemple tiré d'un PV tenu par Lundberg:<br />
lors d'une réunion tenue à <strong>Paris</strong> en<br />
février 1985,Ia SSE, selon son directeur<br />
René Pahud, aurait livré 60 tonnes <strong>de</strong> .<br />
pentyl au Maroc en 1984 et prévoyait<br />
une livraison <strong>de</strong> 80 tonnes cette même<br />
année, dont ID tonnes pour l'Irak. La<br />
SSE, toujours d'après les scrupuleux<br />
comptes-rendus <strong>de</strong> Lundberg, aurait<br />
également acheminé <strong>de</strong> grosses quantités<br />
d'explosifs vers l'Algérie, la Grèce et<br />
le Portugal - d'autres entreprises passent<br />
par l'Amérique latine, la ThaTlan<strong>de</strong>,<br />
le Pakistan, la Yougoslavie ou la<br />
Bulgarie - tous pays connus pour servir<br />
<strong>de</strong> relais sur la route <strong>de</strong> l'Iran et <strong>de</strong> l'Irak<br />
en guerre.<br />
«Les notes <strong>de</strong> Lundberg sont imprécises<br />
et ne refl~tent pas la réalité., fait<br />
communiquer un Ren~ Pahud excédé. Il<br />
n'en dira pas davantage. En tout cas pas<br />
aux journalistes. Le DMF, lui, n'a<br />
jamais contrôlé l'usage fait ni le cheminement<br />
suivi par les explosifs livrés par<br />
la SSE. En revanche, le Ministère<br />
public, titillé par quelques articles <strong>de</strong><br />
presse, a enfin pris J'initiative <strong>de</strong> «procé-<br />
l'BERDO Suiusse<br />
14.4.88<br />
Lundi4 a,rIJ- L'h&pitaJ <strong>de</strong> Tabriz,<br />
unjour aprèsUD bombar<strong>de</strong>ment.Vilefillette<br />
<strong>de</strong>qUlt~ ans,blessée,rait spontanément<br />
lesilne <strong>de</strong> la ,icloire<br />
<strong>de</strong>r d certaineS vérifications». Mais il<br />
n'a pas lancé une enquête formelle: «Ce<br />
n'est jamais agréable d'Itre J'objet <strong>de</strong><br />
poursuites pénales», précise-t.on au<br />
Ministère public pour justifier la timidité<br />
<strong>de</strong> la démarche. Pour le reste: botus et<br />
mouche cousue, comme disent les<br />
Dupont, les recherches sont en <strong>de</strong> bonnes<br />
mains.<br />
Jean-Luc Ingold<br />
11