LA RENCONTRE JEAN-PIERRE VINCENT ET LES CINQUANTE AMATEURS Propos recueillis par Emmanuelle Gall • Photos : Vincent Lucas 14 8 e <strong>art</strong> magazine • mai-juin 2013
LA RENCONTRE JEAN-PIERRE VINCENT epuis plus d’un an, Jean-Pierre Vincent dirige une troupe de cinquante comédiens amateurs en vue de monter Les Suppliantes d’Eschyle au Gymnase. À soixantedix ans, le metteur en scène multiplie les projets et milite pour un théâtre humaniste, opérant un retour aux fondamentaux et élargissant « le cercles des spécialistes ». Iphis et Iante en janvier, Les Suppliantes en juin, Marseille-Provence 2013 vous gâte ! J’étais même censé créer un troisième spectacle. À Toulon, je devais monter un petit opéra de Karl Maria von Weber, Abu Hassan. Un très beau conte des Mille et une nuits écrit en hommage à Moz<strong>art</strong>. Mais Toulon s’est retiré de la course. Ma présence dans Marseille-Provence 2013 est le fruit de l’amitié qui me lie à Dominique Bluzet, le directeur des Trois théâtres. Nous nous sommes battus pendant deux ans pour monter Iphis et Iante : un pari difficile compte tenu du titre imprononçable de la pièce et de son auteur inconnu. Dans l’intervalle, Dominique Bluzet a eu d’autres idées et notamment celle d’une collaboration avec des amateurs. J’étais évidemment d’accord, tout en sachant que ce n’est pas un petit engagement. Il a fallu trouver et réunir les comédiens, puis les faire travailler, à raison d’un rendez-vous hebdomadaire pendant un an et demi. Heureusement, j’ai deux coadjutrices formidables : Marie Provence et Caroline Ruiz. Pourquoi avoir choisi Les Suppliantes ? J’ai souvent travaillé cette tragédie dans le passé, notamment à l’occasion de stages organisés pour les enseignants, et je voulais la monter à Marseille. J’ai toujours pensé que cette ville était le point de rencontre, d’aboutissement, de tous les peuples méditerranéens, plus encore que Barcelone, Gênes ou Athènes. La variété de sa population est exceptionnelle. Et il me semblait intéressant de monter ici l’histoire de ces cinquante femmes, les Danaïdes, qui arrivent d’Égypte pour demander asile et protection à Argos. Elles sont les descendantes d’Io, originaire de cette cité grecque. Transformée en vache par Zeus et, poursuivie par un taon, Io est allée jusque sur les bords du Nil pour accoucher. Les Danaïdes veulent échapper à un mariage forcé avec leurs cousins. Le roi d’Argos ne peut refuser de les accueillir, mais il sait que cette décision entraînera une guerre. Il consulte son peuple qui opte pour l’asile… et la guerre. « CEUX QUI NE SE SOUVIENNENT PAS DU PASSÉ SONT APPELÉS À LE REVIVRE. » Comment adapter une tragédie vieille de vingtcinq siècles au public contemporain et à cinquante comédiens amateurs ? Chez Eschyle, il y a vingt-quatre femmes et un mystère. Car, à la fin de la pièce, le chœur est divisé en deux : les suppliantes et leurs esclaves. On ne sait pas si à l’époque, il y avait sur scène vingt-quatre ou quarante-huit comédiens. Au Gymnase, elles seront trente et c’est déjà bien. Par ailleurs, dans l’Antiquité, il n’y avait, outre le chœur, que deux acteurs : le protagoniste et le deutéragoniste, qui jouait tous les autres rôles. Comme nous avons gardé une cinquantaine de comédiens sur les cent soixante-dix candidats qui nous ont écrit, nous avons choisi de dédoubler certains rôles. Quant au texte, que j’ai traduit avec l’aide de Bernard Ch<strong>art</strong>reux, il est très respectueux de la lettre. J’ai très peu coupé, beaucoup moins que pour Iphis et Iante. Il s’agit de comprendre et faire comprendre la logique de l’œuvre. Revenir à la tragédie grecque, c’est renouer avec les fondamentaux pour savoir où nous en sommes. Les Grecs anciens eux-mêmes utilisaient le passé pour soigner leur présent. Aujourd’hui, le lien avec l’histoire s’est affaibli, alors que nous sommes des êtres 8 e <strong>art</strong> magazine • mai-juin 2013 15